Un étrange bras de fer oppose Ennahdha à son secrétaire général, Hamadi Jebali, depuis que ce dernier avait lancé, lorsqu’il était à La Kasbah, l’idée d’un gouvernement de compétences. Trois mois après la fin du gouvernement Jebali, les deux parties sont loin d’avoir enterré la hache de guerre.
Peu visible sur les radars avant les élections du 23 octobre 2011, Hamadi Jebali y occupe aujourd’hui, d’un point de vue politique, une place de choix. L’ancien chef du gouvernement a certes baissé dans les sondages durant les premiers mois de son «règne» à La Kasbah, mais il n’a pas tardé à remonter la pente après l’assassinat de Chokri Belaïd le 6 février 2013. Sa gestion de cette affaire et de ses conséquences politiques étant sans nul doute pour beaucoup dans son retour en force. Depuis, le secrétaire général d’Ennahdha est devenu un acteur important de la scène politique dans laquelle il a introduit une grande inconnue, tant pour ce qui est de l’issue de la prochaine élection présidentielle que pour ses relations avec son parti –puisque l’ancien chef du gouvernement a clamé haut et fort son intention de se présenter comme candidat indépendant s’il devait décider de briguer la magistrature suprême.
D’ailleurs, on peut aujourd’hui se demander si le principal parti de la Troïka donnera ou non sa bénédiction –c’est-à-dire s’il appellerait ou pas, dans ce cas de figure, à ses troupes à voter pour son -futur-ex?- secrétaire général.
Si Ennahdha ne devait pas soutenir la candidature d’un Hamadi Jebali devenu un électron libre, quelles conséquences cela aurait-il pour ce dernier? Disparaîtrait-il politiquement du radar comme le laisse entendre le président du parti islamiste, Rached Ghannouchi, qui ne cesse de répéter –dans un message codé visiblement destiné au secrétaire général de cette formation- que celui qui le quitte se retrouve seul et ne vaudra plus rien politiquement?
Certains tendent à partager et à accréditer ce point de vue, qui rappellent le cas de Me Abdelfattah Mourou qui a quitté Ennahdha pour diriger des listes indépendantes lors des élections du 23 octobre 2011 a fini par réintégrer le bercail nahdhaoui après l’échec de sa tentative de sédition. Une manière de laisser entendre que s’il devait quitter son parti, Hamadi Jebali serait condamné à connaître le même sort. Le secrétaire général d’Ennahdha serait-il un nouveau Mourou en devenir?
Il se pourrait que non. Pour deux raisons au moins. D’abord, on le sait, le sort d’une initiative politique est souvent déterminé, dans une large mesure, par le contexte et le timing. Or, le contexte actuel dans lequel se déroule le bras de fer opposant Hamadi Jebali à son parti diffère énormément de celui qu’Abdelfattah Mourou avait essayé de voler de ses propres ailes, politiquement s’entend.
Il y a vingt mois, c’est-à-dire à la veille des élections du 23 octobre 2011, Ennahdha était encore auréolé de son passé de victime de la répression benaliste et était en pleine ascension. De ce fait, se démarquer d’Ennahdha ou, plus, quitter cette force montante, était une véritable gageure, pour ne pas dire un acte suicidaire.
Mais vingt mois et une expérience au pouvoir –pas très concluante- plus tard, Ennahdha n’est plus ce qu’elle était. Le parti islamiste qui, d’après les sondages, a perdu près du tiers de son électorat, semble être aujourd’hui, sinon sur le déclin, du moins en stagnation. De ce fait, le bras de fer en cours, voire une guerre ouverte, entre Hamadi Jebali –qui n’exerce plus ses fonctions de secrétaire général de ce parti, même s’il garde, pour l’instant, le titre- et Ennahdha n’aurait pas forcément l’allure d’un choc du pot de terre contre le pot de fer.
A suivre