Une webcam (Photo : Lionel Bonaventure) |
[29/06/2013 12:00:16] Paris (AFP) De nouveaux escrocs harponnent leurs proies sur la toile, les poussant à des jeux érotiques devant la webcam avant de les faire chanter : l’arnaque à la webcam explose et laisse des victimes “dévastées” par la honte, selon la police et des associations.
C’était il y a 8 mois sur un site de chat et Franck, 26 ans, y repense tous les jours. “Elle m’a demandé d’allumer ma +cam+ (webcam, ndlr), de me déshabiller et de montrer certaines parties de mon corps”, confie-t-il à l’AFP. Mais la conversation coquine avec “la jolie fille aux dessous sexy” a tourné court. Et au lieu de caresses virtuelles, il a reçu un lien vers une vidéo de 20 secondes le filmant dans une posture intime suivie de “messages violents” : “ils disaient qu’ils allaient ruiner ma vie, qu’ils allaient tout raconter à mes proches”.
Pour étouffer la menace, ce Francilien, salarié dans le social, a versé 25 euros, “une somme dérisoire pour le traumatisme subi”. Car la vidéo a quand même été publiée sur Youtube, qui l’a par la suite effacée. Certains déboursent 200, 400 euros pour tarir le flot de menaces. Des milliers d’euros si le “brouteur” flaire qu’il a ferré un gros “pigeon”.
“Des victimes tous les jours”
Franck est tombé dans le piège d’un “brouteur”, surnom que se sont donné ces nouveaux maîtres-chanteurs qui harponnent le “mugu” (pigeon) européen depuis l’Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire.
Ces cyber-escrocs excellent dans les “arnaques à la nigériane” dont les plus fameuses – fausses loteries et faux héritages – sont bien connues des internautes. Mais le chantage à la webcam est un phénomène récent en France. “On reçoit des appels de victimes tous les jours”, affirme Pierre-Yves Lebeau, chef de section à l’office “cyber” de la police judiciaire, qui compte une cinquantaine de fonctionnaires dédiés à la traque des escroqueries liées aux nouvelles technologies.
Alors que la cyber-police dénombrait 600 signalements de ce type d’arnaques en 2011, elle en a comptabilisées 2.000 en 2012 sur les plateformes ouvertes au public et gérées par la police, Pharos et Info Escroqueries.
C’est peu au regard des 100.000 escroqueries déclarées à la cyber-police en 2012, mais pour M. Lebeau, “c’est la partie émergée de l’iceberg”: “les victimes, honteuses, osent rarement déclarer qu’elles ont été piégées en train de se masturber”.
Avec sa brigade de 4 ou 5 bénévoles dédiés eux aussi à la traque des escroqueries sur la toile, l’association des victimes des arnaques à la nigériane (Aven Europe) dit repérer une cinquantaine de vidéos de “pigeons” filmés à leur insu chaque jour, contre une ou deux par semaine il y a 3 ans.
Ces escrocs au mode opératoire “pernicieux et cruel” laissent des victimes en état de “peur panique”, selon M. Lebeau.
ée devant le logo du site de partage de vidéos Youtube (Photo : Lionel Bonaventure) |
D’abord, ils infiltrent les chats et les sites de rencontre et appâtent leur proie au moyen d’une vidéo pré-enregistrée mettant en scène une pin-up. Une fois l’identité de la victime récupérée, le maître-chanteur n’a plus qu’à servir la vidéo des ébats aux “amis” de la proie présents sur les réseaux sociaux, Facebook et autres Viadeo.
“T’es mor”, “ton patron va tou savoir”, “j’ai tou sur toi” : “les brouteurs terrorisent leurs victimes pour les faire craquer. Surtout ne jamais payer, sinon c’est l’engrenage”, prévient Annie Roser, vice-présidente de Aven.
Quand les menaces, truffées de fautes d’orthographe, ne suffisent pas, les escrocs se font passer pour Interpol ou un procureur, brandissant des poursuites imaginaires pour “pédo-pornographie”.
En France, la violence de ces menaces a poussé deux lycéens au suicide en 2012.
En janvier, Cédric, 17 ans, s’est pendu dans sa chambre à Marseille, trois mois après avoir été piégé au cours d’un “plan webcam”. A ses parents, ce brillant lycéen avait confié avoir “fait une grosse bêtise”.
Croyant flirter avec Jennifer, il s’était déshabillé devant son écran avant de découvrir que la jeune fille était en réalité un escroc. Ses copains le verraient “tout nu” sur Facebook et Youtube s’il n’envoyait pas de SMS surtaxés. Après l’incident, les parents de Cédric pensaient qu’il avait tourné la page. “Mais on n’a rien vu venir, on a été dynamités”, se lamente Aïssa, le père.
En octobre, un jeune Brestois s’est aussi donné la mort.
“C’est dévastateur pour des jeunes qui pensent tester leur pouvoir de séduction sans risque via internet. Leur plus grande blessure, c’est d’imaginer leurs parents découvrant ces images”, explique Justine Atlan, présidente de l’association E-Enfance, qui propose une plateforme d’écoute pour les victimes de cyber-délinquance.
“Montres et belles voitures”
Qui sont les brouteurs ? “Des réseaux très bien organisés, avec des chefs qui recrutent et des cafés quasiment dédiés à cette activité”, affirme M. Lebeau.
Chaque jour, ils prennent d’assaut de nombreux cybercafés d’Abidjan et ratissent la toile au grand jour.
Grâce à un réseau internet très développé, “la Côte d?Ivoire est en pointe dans la cybercriminalité”, reconnaît Stéphane Konan, responsable de la lutte contre la cybercriminalité au ministère ivoirien de l’Intérieur.
Une webcam |
L’an dernier, ces escroqueries ont rapporté 5 millions d’euros aux brouteurs qui, sur leurs pages Facebook, “vantent leurs exploits et s’exhibent avec leurs belles montres et voitures”, selon Mme Roser.
Malgré la coopération entre polices française et ivoirienne, l’organisation diffuse de cette criminalité complique la traque des escrocs.
Dix-huit mois ont passé et le père de Cédric n’attend rien de l’enquête sur la mort de son fils. Son combat est ailleurs : alerter les parents. “Nos enfants ne sont plus en sécurité chez eux, les loups sont entrés dans la maison”.
Franck, lui, scrute chaque jour la toile. “Je n’ai qu’une angoisse : que la vidéo ressorte et que mes amis la voient”.