Une femme enceinte dans son bureau de Tokyo, le 2 juillet 2013 (Photo : Yoshikazu Tsuno) |
[03/07/2013 08:40:56] Tokyo (AFP) Enceintes ou jeunes mamans, beaucoup de Japonaises se disent victimes du “mata-hara”, appellation japonisée du “maternity harassment”, le harcèlement des mères dans les entreprises, un comble dans un pays vieillissant et en cruel manque de bébés.
Pour de nombreuses Nippones, ce qui devrait être une période heureuse de leur vie peut tourner au cauchemar: mots déplacés, rupture de contrat, heures sup à gogo, tâches de forçat, etc…
“Mon chef m’a dit que les salariées en contrat à durée déterminée n’avaient droit ni au congé maternité, ni au congé éducation, que faire ?”. Désemparée, une employée enceinte d’une agence de presse s’est confiée au centre d’appels de la confédération des syndicats de travailleurs. Et elle n’est pas la seule.
“Travailler est trop dur quand on est enceinte, vous feriez mieux d’arrêter”, dit ainsi suavement le responsable d’un centre de soins à l’une de ses subordonnées, qui finit par suivre le conseil de son patron. Il parvient ainsi à ses fins.
“Avec le harcèlement sexuel et hiérarchique, le harcèlement maternel est la troisième grande discrimination contre les femmes au travail”, explique un cabinet d’avocats spécialisés.
63% de celles qui ont travaillé en étant enceintes disent avoir ressenti une certaine insécurité professionnelle, selon une étude syndicale effectuée en mai.
“Mata-hara est un terme à bannir. Il faut carrément parler de violences faites aux femmes enceintes!”, s’énerve sur internet une certaine Terrazi de Fukuoka (ouest).
Un quart des mamans ou futures mères nippones ont subi une forme ou une autre de “mata-hara”, qu’il s’agisse de paroles désobligeantes, de menaces ou, pire, d’obligation de faire des tâches éprouvantes, comme porter de pesants cartons, selon la même étude.
à son travail, à Tokyo le 2 juillet 2013 (Photo : Yoshikazu Tsuno) |
“Le nombre de filles qui subissent des pressions morales et physiques pour la simple raison qu’elles attendent un enfant ou viennent d’accoucher tend à augmenter parce que les femmes sont de plus en plus nombreuses à devoir travailler”, explique la confédération syndicale des travailleurs du Japon.
Ce taux tend à progresser car les femmes ont davantage conscience qu’il n’est pas normal d’être maltraitées au seul prétexte d’un ventre arrondi. Du coup certaines parlent.
Mais, regrette la confédération, “la plupart endurent encore en silence, sans prendre conseil auprès de qui que soit, souvent parce qu’elles ignorent que des lois garantissent le droit des femmes d’être enceinte et d’éduquer des enfants tout en continuant de travailler”.
La législation accorde aux femmes un congé maternité de quatorze semaines, voire un congé parental optionnel d’un an. Elles sont censées retrouver ensuite les mêmes responsabilités, une obligation que les employeurs n’observent pas toujours.
En position de faiblesse, qui plus est dans une société où l’on n’a pas vraiment l’habitude de lutter contre la hiérarchie, même si la loi l’y autorise, beaucoup plient, se taisent face aux attitudes irrespectueuses, ne vérifient pas la véracité des assertions du supérieur, ne répondent pas aux réflexions humiliantes. A la clef: une anxiété qui peut se traduire par des problèmes de santé, voire la perte de l’enfant à venir.
La raison première invoquée dans la moitié des cas de “mata-hara” est “l’incompréhension et le manque de coopération des collègues hommes”.
Beaucoup n’ont aucune idée de ce que représente une grossesse, ni de la difficulté d’élever un enfant en bas âge. Et pour cause: les moins de 30 ans sont rarement papa. Quant aux pères, quel que soit leur âge, ils n’ont guère le temps de s’occuper de leur progéniture et ne savent pas la charge que cela représente.
Selon un livre blanc rendu public fin juin par le gouvernement, environ un cinquième des salariés trentenaires et quadragénaires triment plus de 60 heures par semaine, ce qui ne facilite pas la vie de couple ni le temps passé avec les enfants, limité à une heure par jour au mieux.
Sans compter que des collègues femmes, n’ayant elles-mêmes pas d’enfant, peuvent manquer d’attention, voire agir par jalousie.
A cela il faut ajouter le fait que les entreprises ne font pas toujours leur maximum pour faciliter la vie des employées enceintes ou jeunes mamans, pour les remplacer ponctuellement ou alléger leurs fonctions, etc.
Le Premier ministre Shinzo Abe, qui n’a pas d’enfant, dit vouloir suivre la recommandation du Fonds monétaire international(FMI) et augmenter le taux d’activité des femmes.
Seulement un tiers des femmes mariées mère d’un enfant de moins de trois ans travaillent – souvent à temps partiel – contre plus de 80% des femmes célibataires sans enfant.
M. Abe veut aussi élever le taux de fécondité, l’un des plus faibles avec seulement 1,41 enfant par femme en 2012.
Dans les pays industrialisés, un fort taux d’activité des femmes et un indice élevé de fécondité vont souvent de pair, comme en France ou dans les pays scandinaves, où l’on facilite la vie professionnelle des mères de famille.
Le Japon au contraire conjugue faible taux d’activité féminine et faible fécondité. Si grossesse et maternité ne sont pas mieux acceptées et traitées dans l’entreprise, les Japonaises continueront d’abandonner leur poste au premier enfant… de gré ou de force.