Cette modeste contribution intervient à un moment où la Tunisie cherche à trouver son chemin vers une véritable démocratie, une croissance équitable ainsi que la dignité pour son peuple. Le chômage des jeunes en général et celui des diplômés du supérieur en particulier ont constitué le carburant principal de la Révolution du Jasmin.
À moins d’identifier les véritables causes sous-jacentes, toutes les solutions prescrites, aussi ingénieuses soient-elles, ne produiront pas les résultats collectivement désirés.
Ce bref document tente de montrer que la cause-clé sous-jacente, et donc le talon d’Achille de la Tunisie, est la mauvaise structure de son industrie.
Le cadre analytique du Système national d’innovation (SNI) est utilisé pour s’attaquer à ce problème complexe et durable. Des indicateurs normalisés, couvrant les principales composantes du SNI, sont utilisés dans le but de démystifier les coupables et d’engager un processus curatif collectif pour notre société souffrante.
Un héritage d’innovation de trois millénaires
Au cours des trois derniers millénaires, la Tunisie a été un lieu d’exception pour le mélange, le rayonnement et la floraison de plusieurs civilisations telles que les Carthaginois, les Romains et les Hafsides. L’ouverture du pays aux autres cultures, sa tolérance ethnique et religieuse, a coïncidé avec sa prospérité telle qu’attestée par la diversification de ses marchés et de son commerce, ainsi que par sa maîtrise de la science et de l’innovation.
La Tunisie verra le savoir prospérer pendant son ère carthaginoise. L’architecture, la construction navale, l’irrigation et l’agriculture étaient parmi les nombreux secteurs réussis tel qu’attesté, entre autres, par les 28 volumes du Traité de Magon du 4ème siècle avant J.-C.
Dès le VIIe siècle, la Tunisie a joué un rôle clé, et a vu sa capitale Kairouan devenir une plaque tournante des activités intellectuelles et d’apprentissage dans le monde arabo-musulman. La grande mosquée de Kairouan, fondée en 670, ainsi que sa branche d’enseignement, a été un centre d’éducation pour la pensée islamique et les sciences profanes.
Parmi ses anciens élèves et ses savants, Ibn Al Jazzar, un médecin musulman influent du Xème siècle, bien connu pour son livre “Zad Al-Musaffir” (le viatique).
Au cours du XIIIème siècle, Tunis devint la capitale de l’Ifriqiya. Ce changement de pouvoir a contribué à l’épanouissement de la mosquée Al-Zaytouna, hôte de la première et de la plus grande université dans l’histoire de l’Islam, comme principal centre islamique d’apprentissage et de savoir.
Ibn Khaldoun, un universitaire tunisien, est le plus célèbre parmi les nombreux anciens étudiants de cette institution. Il est plus connu pour son Al-muqaddimah (Le Prologue) et est considéré comme l’un des pères de l’historiographie moderne.
La Tunisie beylicale du XIXème siècle a vu la création, par Ahmed Bey, de l’Ecole Technique en 1840 et du Collège Militaire du Bardo en 1855. Cet effort de modernisation a continué avec Mohamed Sadok Bey, sous l’influence de son ministre Kheireddine Pacha par la création, entre autres, du Collège Sadiki en 1875, en partie inspiré du système éducatif européen. L’ex-président Habib Bourguiba est parmi ses anciens élèves.
L’ère du protectorat français a vu la création d’un certain nombre d’institutions de recherche, dont, sous leurs appellations actuelles, l’Institut Pasteur de Tunis en 1893, l’Institut national agronomique en 1898 et l’Institut national des sciences et technologies de la mer en 1924. Après la Seconde Guerre mondiale, les institutions de recherche sus-cités ont été complétées par l’Institut des hautes études de Tunis en 1945, rattaché à l’Université de Paris. Parmi ses étudiants, 300 Tunisiens étaient inscrits.
Le Précurseur du Système d’innovation
La Tunisie indépendante a très tôt répondu à ses besoins en éducation et en recherche avec plusieurs réalisations socio-économiques. Le pays a rapidement répondu à ces défis par la création de l’Ecole normale supérieure, en 1956, et l’Institut national agronomique de Tunis, précédemment dénommé Ecole supérieure d’agriculture de Tunis, en 1959.
Ces réalisations ont été suivies par la création de l’Université de Tunis en 1960. L’Université comprend la Faculté des Sciences, la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, la Faculté de Droit, Sciences Politiques et Economiques, la Faculté de Médecine et de Pharmacie et la Faculté de Théologie, l’ancienne Zitouna.
Presque simultanément, le Centre de Recherche sur les Problèmes des Régions Arides et le Centre d’Etudes de Recherches Economiques et Sociales (CERES), ont été créés en 1961 et 1962 respectivement. L’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis (ENIT) a été créé en 1969.
Il est important de noter que près d’une décennie après la création de la première université en Tunisie, il a été décidé en 1968, d’abandonner le système universitaire et de placer tous les établissements d’enseignement supérieur et les centres de recherche nationaux sous le contrôle de Direction générale de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (DGESRS) nouvellement créée au ministère de l’Education nationale.
Peu de temps après cette restructuration particulière et significative, il a été décidé, en 1972, d’établir des diplômes universitaires avancés équivalents au niveau du master, lançant ainsi les études de 3ème cycle en Tunisie.
Cette dernière dynamique de restructuration et de création, ainsi que l’augmentation du nombre du personnel enseignant, a permis la création de certains laboratoires de recherche et de plusieurs programmes de 3ème cycle dans plusieurs disciplines.
En conséquence, le nombre d’étudiants a augmenté et a incité à l’ouverture de plusieurs établissements d’enseignement supérieur d’abord à Sousse et Sfax, en 1974, puis à Monastir et Gabès en 1975.
Ce développement accéléré a abouti à la création, en 1978 et pour la première fois, d’un ministère dédié à la Recherche scientifique, dénommé “ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique“ (MESRS). Ce ministère a non seulement hérité et élargi la mission de la DGESRS, mais a également reconnu la nature de la phase de développement du système de recherche et la nécessité de renforcer les capacités et ainsi, de conserver l’enseignement supérieur et la recherche universitaire étroitement liés.
Le Système d’innovation de la Tunisie aujourd’hui
L’événement marquant qui a lancé le Système tunisien de la recherche scientifique a été la promulgation, le 31 janvier 1996, de la Loi d’Orientation relative à la recherche scientifique et au développement technologique. Cette loi constitutive était le résultat de la création, le 17 février 1991 au sein du Premier ministère, du Secrétariat d’État à la Recherche scientifique, promu le 17 février 1992 à un Secrétariat d’Etat pour la recherche scientifique et la technologie (SERST).
Les activités du SERST portaient sur les activités de recherche orientées vers le développement socio-économique, tandis que la recherche fondamentale et l’enseignement de 3ème cycle étaient restés sous le ministère de l’Education et des Sciences.
Formulé dans le cadre du SNI, les principaux objectifs de la Loi d’Orientation étaient:
– Renforcer la coordination entre les différentes composantes du SNI afin de créer la synergie nécessaire, de construire des compétences durables et d’assurer un soutien financier continu;
– Promouvoir le renforcement des capacités comme pilier essentiel du SNI, ainsi que l’innovation technologique;
– Augmenter progressivement les dépenses de R&D, tout en assurant la diversité des ressources financières et en renforçant les contributions privées et internationales;
– Promouvoir l’innovation et le développement technologique par le soutien aux entreprises innovantes, la valorisation des résultats de la recherche, le renforcement du partenariat entre recherche et industrie, mais aussi par la création de techno-parcs et d’incubateurs;
– Renforcer le suivi et l’évaluation des activités et des structures de recherche;
– Développer la coopération internationale afin de faciliter l’échange des meilleures pratiques et d’accéder aux réseaux internationaux d’excellence scientifique; ceci afin de bénéficier d’un financement international et d’être un contributeur actif au savoir humain.
Peu de temps après, un certain nombre d’institutions qui rappellent les Systèmes Nationaux d’Innovation modernes ont été créées et/ou ajoutées à celles déjà existantes, au sein et/ou sous la tutelle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS) et du Ministère de l’Industrie et de la Technologie (MIT). Comme indiqué dans les objectifs sus-mentionnés, ces institutions devaient assurer l’exécution, le suivi et l’évaluation des activités prévues par la Loi d’Orientation et de ses décrets de mise en œuvre ultérieurs.
Le SNI actuel comprend les principales composantes suivantes, regroupées dans les quatre différents niveaux standards :
Niveau 1: Stratégies de Niveau élevé
Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique et de la technologie,
Comité de Haut Niveau pour la Science et la Technologie,
Comité National Consultatif pour la Recherche Scientifique et la Technologie.
Niveau 2: Ministère
Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ( La Direction Générale de la Recherche Scientifique (DGRS) est le principal organisme de financement de la recherche scientifique,
Ministère de l’Industrie et de la Technologie.
Niveau 3: Agence
Comité National d’Evaluation des Activités de la recherche Scientifique (CNEARS),
Observatoire National des Sciences et de la Technologie (ONST),
Agence Nationale de Promotion de la Recherche Scientifique (ANPR),
Institut National de Normalisation de la Propriété Industrielle (INNORPI),
Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (APII).
Niveau 4: Acteur de la Recherche et de l’Innovation
Les universités et les Centres de Recherche Publics (le système Tunisien de R&D est composé d’environ 140 laboratoires de recherche et500 unités de recherche, évoluant dans 13 universités, ainsi que de 33 centres de recherche publics, 8 centres techniques et 10 techno-parcs.)
Les entreprises commerciales et les institutions de recherche privées (l’industrie en Tunisie est composée de presque 6 000 PME ayant 10 salariés et plus, dont 2 800 sont totalement exportatrices, 1975 à participation étrangère. 1221 entreprises sont 100% étrangères et 1679 sont des PME totalement exportatrices.)
Afin de dynamiser le SNI et faciliter l’émergence de synergies entre ses différents sous-systèmes, un certain nombre de programmes de R&D et d’instruments financiers ont été déployés depuis 1992. Parmi ceux-ci, les Programmes de Recherche Fédérés (PRF), le Programme National de Promotion de l’Innovation Technologique (PNRI), le Programme de Valorisation des Résultats de la Recherche (VRR) et la Prime accordée au titre des Investissement en R&D (PIRD). Les mécanismes de capital-risque, en particulier la SICAR (Société investissement à Capital Risque), ont été modifiés en 2009 pour encourager la prise de risques.
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