L’aboutissement du mouvement «Tamarrod» égyptien par l’éviction du président Morsi et le retour de l’armée aux devants de la scène politique sont au centre de tous les commentaires en Egypte, mais également en Tunisie et dans le monde.
En effet, les événements ne sont pas aisés à analyser et malgré toute la sympathie qu’on peut éprouver pour un peuple qui milite dans la rue, et malgré toute l’antipathie qu’on peut avoir pour des islamistes ayant démontré leur esprit borné et leur arrogance, il n’en demeure pas vrai que le retour à l’armée comme “gardien du temple“ à la manière turque n’est pas de bon augure pour les démocraties arabes naissantes…
Il faut d’abord avouer que les Frères musulmans au pouvoir, à travers Mohamed Morsi -qui n’était pas un des grands leaders de la confrérie- ont échoué lamentablement dans l’épreuve qu’ils ont attendue depuis plus de 70 ans par arrogance, ignorance des réalités de la rue égyptienne et par manque de clairvoyance politique nécessaire à cette étape.
Morsi et son équipe et la «Jamaa» en coulisse ont rapidement montré à l’égard des courants libéraux un mépris servi par l’énorme majorité qu’ils ont eu aux législatives; avec les salafistes du parti Nour, ils ont méprisé l’importante (néanmoins très agissante) minorité copte, ils se sont aliénés les médias très à gauche et finalement ils ont montré une inaptitude ahurissante à gérer les dossiers économiques et sociaux, ceux-là même qui ont fait chuter Moubarak.
Le mouvement Tamarrod a commencé comme une énième tentative d’exister d’une jeunesse déboussolée après l’élection de Morsi et ses manœuvres politiciennes, et il a abouti a rassembler plus de 20 millions d’Egyptiens, ce qui est une gageure qui aurait dû sonner le glas pour les islamistes afin de rectifier le tir. Aujourd’hui les dés sont jetés.
L’armée a-t-elle commis ou non un coup d’Etat? Là n’est peut-être pas la question. L’armée a été sollicitée régulièrement par une partie de l’opposition dès le début de la confrontation avec les «Frères» -qui ne sont pas d’ailleurs de véritables frères. Cette fois, le Général Al Sissi a essayé d’éviter les pièges de l’expérience de Tantaoui et a fait en sorte d’être et de rester l’arbitre d’un match qui sera âprement disputé…
La question centrale en Egypte est double. Comment vont se comporter les Frères musulmans? Quelle force politique en face est capable de constituer un vrai challenge à même d’imposer une transition démocratique, à instituer un vari Etat de droit et surtout à avoir des réponses claires à la situation socioéconomique du pays?
Là on nage dans le flou… Toutes les analyses convergent pour dire que les «colombes» de la confrérie seraient enclines à composer avec le nouvel ordre institué par l’armée et iraient à des nouvelles élections sûres qu’elles auront toujours leur mot à dire si ce n’est une deuxième fois la majorité. Dans les colombes on compte le «Morched» Ahmed Badîi et son second Kheiret Chater, tous deux interdits de voyage et arrêtés préventivement par l’armée pour une vieille histoire de fuite de prison en 2011 aux premières heures, ce jeudi 4 juillet 2013… Mais il y a également les «faucons» de la confrérie dont bien sûr Mohamed Morsi et ceux-là, jusqu’ici sont inflexibles à tout compromis…
Ne parlons pas de la deuxième inconnue, celle de l’opposition divisée et parcellaire. Le dynamisme de «Tamarrod» peut insuffler son souffle et faire émerger une coalition solide autour des figures consensuelles comme Hamdin Sabahi, le leader nassérien qu’on n’a pas beaucoup entendu d’ailleurs et qui était le 3ème candidat dans la course à la présidentielle. Sinon, les salafistes se sont déjà positionnés en acceptant rapidement la feuille de route de l’armée dès les premières heures de son annonce. Ils ont tout simplement lâché les «frères» à la première cartouche pour probablement faire cavalier seul.
Quid de la Tunisie ?
En Tunisie, le clan démocratique jubile. Normalement. L’échec de l’expérience «ikhouania» ne peut être que bénéfique dans la confrontation avec les nahdhaouis au pouvoir. Très peu de réserves ont été émises sur la manière de destitution de Morsi et sur les questions à se poser sur le rôle de l’armée. Certes, les Nahdhaouis ne sont pas contents mais ils essayent, comme l’a déclaré Rached Ghannouchi, de bien faire la part des choses en critiquant la gestion de Morsi et celle de l’armée en même temps et en ne s’opposant pas à la volonté du peuple. Cependant ce qui est sûr c’est que quelque chose s’effondre.
Hier c’est Erdogan qui essuie une défaite cuisante par le tribunal qui lui interdit son projet de centre commercial. Puis c’est le Qatar qui largue ses alliés islamistes en pleine guerre avec l’arrivée de l’Emir Tamim et maintenant l’Egypte qui vacille.
Dans la bataille en cours pour l’adoption de la Constitution, nous verrons que certaines voix changeront de tempo. Même si la Tunisie n’est pas l’Egypte, mais les similitudes sont têtues.