A l’occasion de sa visite d’Etat, les 4 et 5 juillet, en Tunisie, le Président français François Hollande a accordé une interview exclusive à l’Agence TAP, dans laquelle il a réaffirmé la pleine solidarité de la France avec la Tunisie dans cette période cruciale de son histoire, faisant remarquer que la France suit le processus de transition en Tunisie avec beaucoup d’attention, «sans ingérence mais sans indifférence».
Il a, également, émis le souhait de la France d’intensifier sa coopération avec la Tunisie dans la lutte contre le terrorisme qui, a-t-il dit, ne constitue pas un péril simplement pour les pays concernés ou les pays voisins, mais une menace pour toute l’Afrique et pour l’Europe. Après avoir passé en revue les perspectives de développement de la coopération franco-tunisienne, Hollande a estimé indispensable d’accélérer la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne qui, à ses yeux, «permettra un meilleur arrimage de la Tunisie à l’Europe, gage d’attractivité pour les investissements étrangers».
D’aucuns estiment que les relations tuniso-françaises ont connu des creux après la révolution tunisienne. Quelle serait votre réponse et comment voyez-vous l’avenir des relations entre la Tunisie et la France?
François Hollande: Depuis mon élection, j’ai reçu, à quatre reprises, le président Marzouki et je me suis entretenu à l’Elysée avec le président de l’Assemblée nationale constituante, M. Mustapha Ben Jafaar. Le grand changement depuis la Révolution de 2011, est que la France et la Tunisie partagent les mêmes valeurs démocratiques.
La France est pleinement solidaire de la Tunisie dans cette période cruciale de son histoire. Aux yeux des Français, la Révolution tunisienne a encore rapproché nos deux pays et nos deux peuples. Nous partageons une communauté de langue, de culture, de relations humaines.
Je pense aussi aux 650.000 Tunisiens qui vivent en France dont 15.000 étudiants, comme aux 30.000 Français qui résident en Tunisie et qui contribuent au développement économique et à l’attractivité du pays.
Plus de deux ans après le départ de Ben Ali et la victoire du parti islamiste Ennahdha au scrutin d’octobre 2011, quelle lecture fait la France du processus de transition en Tunisie ?
Nous suivons le processus de transition avec beaucoup d’attention, sans ingérence mais sans indifférence. Pour la France, le succès du régime démocratique ira bien au- delà de la Tunisie, cela peut être une référence pour la région, pour la Méditerranée et pour l’Afrique. Mais il faut du temps pour construire ces nouveaux équilibres.
Je salue les progrès de l’Etat de droit et des libertés en Tunisie. La Tunisie peut montrer l’exemple. Elle peut envoyer un formidable message, notamment aux pays arabes, en transformant ce moratoire en abolition définitive. Je sais, aussi, malgré ces progrès, ce que sont encore les attentes du peuple tunisien, en matière d’emploi, de santé, de justice, d’équité sociale. Il y a des impatiences, il y a des inégalités à réduire. Je sais que les responsables politiques tunisiens ont la volonté d’y répondre et de réaliser ce qu’ils ont promis aux Tunisiens.
La Tunisie est confrontée ces derniers temps à des défis sécuritaires, voire militaires, notamment sur le terrain de la lutte anti-terroriste. La France envisage-t- elle une coopération spécifique avec la Tunisie dans ce domaine ?
Aucun pays ne peut affronter seul le risque terroriste qui représente une préoccupation majeure pour toutes les démocraties, pas seulement au Maghreb. Je pense notamment à ce qui se passe en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Les groupes terroristes ne constituent d’ailleurs pas un péril simplement pour les pays concernés ou les pays voisins mais une menace pour toute l’Afrique et pour l’Europe. C’est la raison pour laquelle la France a pris, en janvier dernier, ses responsabilités au Mali, au nom de la communauté internationale. Nous devons nous unir face à cette menace dans le domaine du renseignement, de la formation et des équipements. La France souhaite intensifier sa coopération avec la Tunisie dans la lutte contre le terrorisme.
La situation en Libye exige également une bonne coordination régionale à laquelle la France est prête à contribuer.
La France a quelque 1300 entreprises off- shore en Tunisie, mais l’investissement moyen par entreprise, d’après la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie, s’élèverait à seulement 50.000 euros. Comment le gouvernement français et les milieux d’affaires en France pourraient agir pour pallier le niveau modeste de ces investissements ?
La France est le premier partenaire commercial de la Tunisie, son premier fournisseur et son premier client. Elle est aussi le premier investisseur. Les 1300 entreprises françaises implantées en Tunisie emploient près de 125 000 personnes. Nous pouvons encore développer notre coopération économique dans de nombreux secteurs : les énergies renouvelables, les transports, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire.
Nous pouvons aussi aider à restaurer l’industrie touristique. Les Français ont été un million à se rendre en Tunisie en 2012. Il faut les encourager à revenir plus nombreux encore. Je souhaite que la Tunisie soit un pays prioritaire pour la stratégie française de co-localisation industrielle. Chaque fois qu’il y a un investissement, c’est utile pour nos deux pays, pour nos emplois et pour nos économies.
J’encourage les responsables tunisiens à mettre en place les conditions d’attractivité nécessaires à cet objectif notamment à travers un nouveau code des investissements ou une législation sur les partenariats public-privé. A titre d’exemple, je proposerai un projet d’alliance stratégique sur l’économie numérique qui pourrait rayonner sur les marchés arabophones et francophones.
Enfin sur le plan commercial, il faut accélérer la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, qui permettra un meilleur arrimage de la Tunisie à l’Europe, gage d’attractivité pour les investissements étrangers.