La
classe politique use, selon les cas, de la raison d’Etat ou de l’intérêt
supérieur de la nation. L’armée nationale égyptienne s’est démarquée de ces
appels éculés et a fait prévaloir l’impératif de remise du pays sur la voie.
Elle s’est appuyée sur le basculement de la majorité populaire en faveur de ce
recadrage du processus démocratique. De fait, l’impeachment du président Morsi
apparaît comme légitimiste! L’armée affirme se lettre en perspective de ses
responsabilités et dans le sens de l’histoire. La révolution du 30 juin devient
une date clé mais aussi un test vérité pour l’aboutissement de la nouvelle
transition qui s’ouvre en Egypte.
Grande muette sait donner de la voie. Outre qu’elle a l’œil à tout. Son entrée
en scène est optimisée, car intervenue au bon moment. La colère populaire
écumait la rue. La déflagration était en vue. L’acte final était également
efficace. Il était réglé à l’américaine. Avant 48 h, l’armée a commencé par lire
ses droits à Morsi. La messe était dite. Elle lui indiquait la sortie et
l’impeachment était, bel et bien, annoncé.
Le président a joué perso: les intérêts de sa base partisane versus la volonté
du peuple. Il a sous-estimé la volonté du peuple par autisme. Il a négligé de
prendre le véritable pouls du pays. Le paravent passoire de la légitimité des
urnes n’a pas résisté à la dynamique du soulèvement populaire qui a fini par le
laminer.
La question est de savoir, de qui l’armée tenait-elle son mandat? Et, en
conclusion, quels étaient les termes de l’arbitrage qui a fait préférer le
dénouement légitimiste?
Vox populi, Vox Dei
Singulier tour d’ironie de l’Histoire, c’est l’armée populaire d’Egypte qui a
ouvert les yeux au B.a.-BA de la légitimité du pouvoir. Ce sont les généraux qui
ont fait la leçon à l’islamiste que la voie du peuple est la voie de Dieu, selon
cet adage romain “Vox Populi, vox Dei“. Oui, la vérité d’un fait ou la justice
d’une chose s’adosse à l’opinion du plus grand nombre. Morsi, qui a une haute
opinion de lui-même, a également ignoré cette réflexion de Plutarque, cet
écrivain grec qui a longtemps séjourné en Egypte et qui affirmait que
l’ingratitude envers les grands hommes est la marque des peuples forts. Au
regard des faits, l’armée égyptienne a fait les choses avec doigté. L’armée
populaire égyptienne a bien vu, compte tenu de sa capacité d’écoute et de
présence sur le terrain que Morsi est en minorité absolue quasiment en état
d’isolement.
Morsi a-t-il dévié? Le procès en incompétence ou en “mauvaise foi“?
Dans la mesure où on peut appliquer les enseignements du management à l’analyse
politique, la lecture des faits fait apparaître Morsi dans une situation de
contrôle minoritaire. C’est une situation réversible. Se mettant dans la posture
de l’actionnaire de référence, Morsi se voulait le noyau dur. Il pensait ainsi
manœuvrer à l’arrachée et imposer un plan d’affaires, précis. L’ennui est que la
finalité de ce plan d’affaires ne coïncidait pas avec les attentes de la
révolution et le “désir d’avenir“ réclamé par le peuple.
Off track, Morsi était à la fois désavoué par l’opinion publique et rejeté par
les autorités spirituelles des principales religions du pays. Morsi ne
s’appuyait plus ni sur le peuple ni sur la religion. Il a été dans une situation
de “corps étranger“ dans l’organisme populaire. De ce point de vue, le
dénouement de l’impeachment apparaît comme une œuvre sanitaire. L’Etat égyptien
se serait auto-ressuscité.
La métastase de Tamarrod?
Est-ce que l’onde de choc de tamarrod peut diffuser dans les autres pays du
printemps arabe, et par delà dans l’ensemble de la région? Notre lecture des
faits nous fait dire que Tamarrod n’est pas un coup de tête des généraux ni un
caprice du peuple. L’Egypte a vu que Morsi mettait le pays sur une trajectoire
périlleuse.
Il y a d’abord cette faillite économique. Le chaos économique était menaçant.
Par conséquent, le coup de barre devenait inévitable en vue d’une véritable
reprise en mains du système. L’intérêt national dictait un véritable modèle
économique, nouveau.
Enfin, les orientations islamistes allaient confiner l’Egypte à un enfermement
communautariste. Dans une région minée par les tensions religieuses hautement
inflammables, une Egypte islamiste était la mèche à laquelle on pouvait mettre
le feu. Le désenchantement était donc programmé, et le 30 juin était le D day,
tout simplement.
Quid de la Tunisie? De référence au principe anglais du “leverage“, les prémices
d’un recadrage de la transition existent en Tunisie. La rupture du contrat de
confiance du 23 octobre a fait que l’ANC a doublé le peuple en se déclarant
souveraine, ce qui est le cas, mais d’une souveraineté absolue et donc au-dessus
du contrôle populaire.
La seconde est que la loi d’immunisation de la révolution serait, selon ce que
laissent pressentir les déclarations des LPR, confiée aux ligues. On noyauterait
de ce fait l’autorité de la sécurité républicaine. D’un côté, la volonté du
peuple serait bafouée, et de l’autre, la sécurité populaire passerait quasiment
entre les mains des milices. Or ce sont là deux détonateurs hautement explosifs.
Il est plausible, à ces conditions, que le scénario égyptien nous impacte.