La précarité se répand. La preuve? L’extension du travail informel, confirmée par une étude récente d’associations civiles. Ce dérapage peut-il relever du calcul électoraliste?
Ce secteur de l’ombre était laissé au noir parce qu’il dérangeait, à plus d’un titre, sous la dictature. Le travail informel ne lustrait pas la vitrine de la politique économique de l’ancien régime, qui jouait la carte de l’émergence et de la performance. Cet univers souterrain avait, toutefois, une fonction importante: il servait d’exutoire pour desserrer les tensions du chômage et des inégalités sociales. Et, pour le blanchiment.
Après le 14 janvier, le phénomène a repris de plus belle. Les prévisions des experts le donnent en extension. La précarité augmente le terreau des laissés-pour-compte. C’est, semble-t-il, une cible de choix pour les associations caritatives qui monnaient des prestations sociales par un encadrement politique des masses pour des fins électorales.
Comment étayer la question ?
TAMSS et global Fairness Initiative : Mais où est donc la croissance inclusive?
Une étude sur la question du travail informel a été conjointement menée par l’Association tunisienne de gestion et stabilité sociale (TAMSS) en partenariat avec une ONG américaine, Global Fairness Initiative (GFI). Même si les résultats de l’enquête ne sont pas tranchés, ils n’en sont pas moins crédibles, de même que l’ont validé de nombreux experts présents mercredi 25 juin à l’occasion de la présentation publique des résultats de l’étude.
Le phénomène prend de l’ampleur, preuve que le nouveau modèle économique, tant convoité, n’est pas encore entré en action. Le taux d’informalité en Tunisie atteint 37% du PIB. Il emploie plus de 50% des actifs. On frôle ainsi le million de personnes.
L’informel, depuis quelques mois, a pris un tournant inquiétant. Il englobe non plus seulement le noir et l’indépendant mais parfois l’illégal. Les inégalités se creusent et l’extension de l’informel signifie que la croissance inclusive n’est pas opérationnelle. L’ennui est que l’informel accueille des catégories nouvelles. Il y a plus de femmes, qui y viennent. Mais également plus de diplômés du supérieur, restés au chômage. De même, il recycle ceux qui ont perdu leur emploi
La réalité amère de l’informel : Non observé, non couvert
Triste sort de cette catégorie sociale de gens dépossédés de certains attributs de la citoyenneté et du champ social et solidaire. Non observable, c’est-à-dire non recensés par le fisc et les régimes sociaux, ils sont laissés-pour-compte. Les travailleurs de l’informel, vivant en marge des statistiques officielles, se retrouvent privés des prestations sociales. Coupés du système organisé, ils sont privés de la protection légale pour leurs droits autant que pour leurs recours ainsi que des formes légales de revendication sociale. Ils sont 80% à ignorer complètement les régimes de couverture sociale. Près de 90% d’entre eux ne savent pas comment formaliser leur situation sociale et autant n’ont aucune connaissance du SMIG et du SMAG.
Les desseins politiques obscurs
Quand on rentre dans l’informel, il y a peu de chances qu’on en ressort. Ce “Triangle des Bermudes“ cultive chez ses adeptes un sens d’animosité de l’Etat et de la chose publique.
Les parias ne pardonnent pas à l’Etat de les avoir ignorés. Ils se sentent comme un alter people. Ils deviennent des proies pour les associations caritatives qui pallient la déficience de l’Etat.
Il semble que beaucoup d’associations proches de formations politiques y trouvent un champ d’action propice. A ces gens montés contre l’Etat, que la vulnérabilité a fait basculer dans la précarité, elles (les formations politiques) offriraient de l’assistance d’appoint. Il semblerait qu’ils monnaient cette assistance par un certain embrigadement politique et un certain alignement électoral. Cela s’est vu sous d’autres cieux, et les experts considèrent que cela relèverait d’un dessein politique, et c’est ce qui donne à la question un aspect inacceptable.