Le ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khademi, a déclaré que les restaurants et cafés doivent être fermés durant ramadhan par respect pour le mois saint et les jeûneurs et pour éviter les «susceptibilités».
Que pèse pareille déclaration? Engage-t-elle le gouvernement tunisien? Est-elle applicable? Quelles répercussions peut-elle avoir sur le pays, son économie et la destination touristique?
La réponse ne se fait pas attendre et vient pour commencer du ministre du Tourisme, Jamel Gamra, qui déclare à Ras Jdir -où il était en déplacement- que les zones touristiques tunisiennes ne sont pas concernées par cette décision.
Cela revient-il à dire qu’il s’agit désormais de davantage marquer la fracture entre les régions?
Aux régions favorisées, côtières, développées et touristique, on laisse les commerces où l’on boit et mange ouverts durant ramadhan. Aux régions défavorisées qui se sont soulevées contre le déséquilibre régional, les disparités, l’injustice, on sert encore de la restriction. Une restriction que même le bon Dieu n’a pas servie avec autant de «favoritisme» pour ne pas dire autre chose!
Par pareilles déclarations, le ministre du Tourisme tunisien se rend-il compte que ce zonage nuit doublement à la destination Tunisie dont il a la charge de promouvoir le tourisme, de sauver des emplois, de relancer la machine qui grince, de réinventer les concepts et de sauver la saison?
Sait-il que l’état de délabrement du tourisme tunisien vient aussi et particulièrement du classement en zones touristiques et non touristiques du pays et que pareille déclaration ne fait que renforcer l’erreur? Sait-il que par cette segmentation, il tue la diversification du tourisme tunisien, condamne les excursions qui font vivre des centaines d’agences de voyage, pousse le client à ne pas quitter son hôtel et ne pas participer à la dynamique économique liée à son séjour?
Sait-il que ramadhan va se prolonger pour au moins les 5 prochaines années en été et que des décisions de ce gabarit ne sont ni à prendre à la légère ni à accepter ou commenter comme un fait divers.
Classer la destination en zones touristiques et non touristiques est-il perceptible aux touristes? Quand un fait divers, une grève ou une bombe artisanale explose au «Mont Chaambi», les réservations chutent, et quand bien même les communiqués des Affaires étrangères des pays des ressortissants qui réfléchissent à choisir notre pays pour leurs vacances ne font pas l’amalgame entre les régions, c’est la destination dans son ensemble qui en pâtit. La Tunisie est Une. Trop petite de par sa géographie autant que par sa communication, elle n’a nullement la force de différencier ses régions et de pouvoir tenir la pression d’une image plus qu’entachée par un islamisme galopant.
L’année dernière à pareille époque, le ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khademi, appelait à laisser les cafés et restaurants ouverts mais discrets. Cette année, il passe à la vitesse supérieure et met une dose de pression supplémentaire qui se fait sentier chez de nombreux restaurateurs et cafetiers qui subissent des menaces pour fermer leurs commerces.
En acceptant pareils arguments, le ministre du Tourisme, Jamel Gamra, met en danger l’avenir d’un secteur et courbe l’échine devant une vision rétrograde et réactionnaire de l’islam, rompant avec la tradition d’ouverture, de tolérance propre à la Tunisie, alors que d’autres voix se sont élevées au sein de la Troïka pour dénoncer. Nous citerons à titre d’exemple, Aziz Krichan qui, dans une lettre ouverte, prend position sur le sujet en publiant sur sa page Facebook: M. Khademi est-il dans son rôle en tenant ce genre de discours? De la part d’un prédicateur, cela n’étonnerait personne. Venant d’un membre du gouvernement, c’est autre chose. La Tunisie est certes un pays musulman, mais on y trouve beaucoup de résidents et de citoyens qui ne sont pas musulmans. On y rencontre aussi beaucoup de musulmans non pratiquants. M. Khademi, comme ministre de la République, leur doit à tous la même considération. Et il est tenu, de par ses fonctions, à ne pas établir de discrimination entre eux. Les musulmans pratiquants ont le droit d’exercer leur culte, et le devoir du ministre est de faire respecter ce droit. Les non pratiquants et les non musulmans ont le droit d’aller au café et au restaurant, et le devoir du ministre est de ne pas faire obstacle à l’exercice de ce droit. Ce n’est pas plus compliqué».
Pour le moment, aucune autre réaction n’a été enregistrée de la part de l’opposition sur le sujet ni de la part des fédérations professionnelles du tourisme.
Et pendant ce temps, la Tunisie s’attèle à accueillir le mois saint avec la ferveur et la tolérance habituelle. Elle ne saurait faire autrement pour respecter la différence et la diversité. Elle ne saurait faire autrement pour respecter les communautés étrangères qui y vivent, les enfants, les touristes, les malades, les femmes enceintes… Et ceux qui sont libres de ne pas jeûner savent et toujours su se faire discrets.