Des bruits persistants courent sur le fait que Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale, s’était présenté devant Moncef Marzouki, président de la République provisoire, pour le prévenir quant aux risques encourus par la Tunisie sur les équilibres financiers et budgétaires du pays. «Monsieur le président, nous pourrions tenir jusqu’à la fin de l’année 2013, mais 2014 s’annonce difficile»! La réponse aurait été : «Achevons cette année, nous verrons ensuite»…
Quelle perspicacité, quelle adresse de la part d’un président très réactif quand il s’agit des affaires des autres pays, mais lent à la détente, peu réactif et à la limite de l’inconscience s’agissant des affaires et des hauts intérêts du pays qu’il préside. Moncef Marzouki a été le premier à rompre les relations diplomatiques avec Damas laquelle, d’après nombre d’observateurs, sortira vainqueur de la guerre civile avec les Djihadistes; il a figuré parmi les premiers à condamner la destitution de Morsi en Egypte alors même que 33 millions d’Egyptiens sont descendus dans la rue pour appeler à la chute du régime des Ikhouans.
Sa méconnaissance de la chose politique et des enjeux géostratégiques n’a d’égale que son ignorance de la chose économique, car sinon comment expliquer dans ce cas que le gouverneur de la BCT tire la sonnette d’alarme et que le président tunisien réagisse avec autant de nonchalance…
Non. L’économie ne va pas aussi bien qu’on veut le faire croire et les contrats signés avec la France ne garantiront pas une croissance à 2 chiffres à la Tunisie. Le dernier rapport de la BCT stipule que les besoins en liquidités de la part des banques ont augmenté, que le taux d’intérêt moyen a atteint les 4,74% et que l’encours des dépôts a accusé une progression de 0,8% en comparaison avec les 5 premiers mois de 2012. Trop peu par rapport aux besoins du marché financier.
L’année 2013 a été également caractérisée par des conditions climatiques défavorables affectant la production du secteur agricole comparativement à la campagne précédente, ce qui n’est pas de bon augure pour 2014.
Une économie en détresse, le politique nourrira-t-il le peuple?
Au moment où les questions politiques accaparent le devant de la scène, l’économie tunisienne sombre… Les premiers éléments disponibles sur le comportement de l’économie du pays montrent, à ne pas en douter, que la croissance sera loin des prévisions initiales, estiment des observateurs de la scène économique tunisienne.
Les équilibres extérieurs du pays sont perdus et la seule solution pour le pays reste la dette. Pour combien de temps encore? Le temps d’épuiser la facilité fournie par le FMI, laquelle, comme tout le monde le sait, n’est pas renouvelable, la Tunisie ayant utilisé tous les droits que lui donne son quota au FMI.
Côté croissance, les données sur les importations montrent que les importations de matières premières et demi produits n’ont augmenté durant les 6 mois de 2013 que de 0,7% à prix courants, les exportations ont augmenté de 6,1%. Ce qu’il faut savoir c’est que mesurée en euros, cette augmentation devient une baisse de plus de 2%. D’ailleurs, une bonne partie de cette augmentation provient des exportations d’huile d’olives. Quant aux exportations de biens industriels rapportées en euros, elles seraient en baisse de 4 à 5 %.
Les données sur la consommation d’électricité de moyenne et haute tension confirment que la croissance serait faible», affirme un éminent expert économique.
Au dernier conseil de la BCT, celui du mois de juin, on avait noté la poursuite de l’aggravation du déficit commercial durant les cinq premiers mois de l’année en cours, ayant augmenté de 5,5% par rapport à la même période de l’année précédente, sous l’effet de la hausse continue des importations de la plupart des groupes de produits. Une tendance à l’origine de la poursuite des pressions sur le déficit courant qui s’est établi à 3,7% du PIB.
Les réserves en devises sont de 10.473 MDT ou l’équivalent de 96 jours d’importation en date du 26 juin 2013, en rapport avec le repli de l’excédent de la balance des opérations financières résultant de la contraction simultanée des investissements directs étrangers et des tirages sur les emprunts extérieurs à moyen et long termes.
C’est ce qui fait craindre aux économistes une situation dangereuse des équilibres extérieurs. «Le déficit des paiements courants estimé à 3,7% du PIB à la fin du mois de mai serait aux alentours de 4% à fin juin compte tenu de la poursuite du creusement du déficit commercial et la stabilisation sinon la baisse des recettes touristiques et des revenus des travailleurs tunisiens à l’étranger. A ce rythme, le déficit courant pourrait atteindre 8% pour la deuxième année consécutive».
Durant les premiers mois de 2013, les revenus des travailleurs tunisiens ont baissé de 2% en dinars et de 10% en euros. Les recettes touristiques sont stables en dinars mais sont en baisse de plus de 8% en euros, glissement du dinar oblige.
Politique monétaire et politique de change: improvisation et atermoiement
Alors que la situation économique difficile que vit la Tunisie est due en grande partie à l’instabilité politique et la situation sécuritaire et sociale, la politique monétaire et de change ainsi que la politique budgétaire menées sont inadaptées et ne peuvent réduire un tant soit peu les aléas de la situation politique. «Sur le plan de la politique monétaire, il faut aujourd’hui reconnaître que la baisse répétée du taux directeur de la BCT au lendemain de la révolution, en plus d’ailleurs de la baisse du taux de la réserve obligatoire à ses plus bas niveaux historiques, relevait de la méconnaissance de la situation économique du pays et sortait du mandant de la BCT tel que défini par ses statuts».
Pour preuve, affirme ce connaisseur de l’économique du pays, qui a préféré taire son nom, «l’inflation que vit le pays depuis 2012, dont une bonne partie est d’origine monétaire. Il était en effet évident qu’une baisse du taux directeur était incapable de faire redémarrer la croissance et l’investissement. Les obstacles étant d’ordre sécuritaire, social et politique et non uniquement en rapport avec le financement. Une baisse modérée du taux directeur de la BCT était peut-être nécessaire pour donner un signal mais l’ampleur de la baisse de ce taux a fait que le taux de rémunération de l’épargne était devenu négatif; dans un climat ou les gens sont tentés réduire les dépôts en banque compte tenu des incertitudes sur l’avenir et dans une situation ou les gouvernements concédaient d’importantes augmentations de salaires».
Il était évident que la baisse du taux d’intérêt allait simplement alimenter la consommation sans susciter plus de croissance et entraîner, à terme, une forte inflation et une dégradation des équilibres extérieures du pays, et c’est ce qui ne manquera pas d’arriver. Le (nouveau) gouverneur de la BCT a essayé de corriger par une légère augmentation du taux directeur, mais il faut reconnaître que le mal était déjà fait et qu’augmenter le taux à deux reprises n’est pas chose facile dans le nouveau contexte que vit la Tunisie.
Pour ce qui est de la politique du taux de change, la première période d’après la révolution a été caractérisée par la poursuite de la dépréciation du dinar: «Cette politique de dépréciation du dinar, qui visait à soutenir la compétitivité des exportations, a perdu beaucoup de son efficacité, le problème n’étant plus un problème de compétitivité mais de production et de confiance des marchés extérieurs devant les phénomènes d’arrêt de travail et les mouvements sociaux fréquents. Inopérante dans le nouveau contexte de la Tunisie, la politique d’un taux de change souple menait droit vers des déséquilibres extérieurs plus importants, une inflation importée et un endettement de plus en plus élevé».
L’adaptation de la politique monétaire et de la politique de change aux contraintes et aux objectifs de la période post-révolution n’a pas eu lieu, l’autorité monétaire s’en tenant -faute d’innovations- à poursuivre les mêmes politiques dans un contexte tout à fait différent.