La disparition d’un outil ne condamne pas nécessairement la fonction qu’il assumait au même sort. Cette vérité concerne en particulier les organisations, dont le Conseil économique et social (CES).
Disparue de la scène nationale après le 14 janvier 2011, cette institution va renaître de ses cendres à la faveur de la nouvelle constitution, mais sous une autre appellation: l’Instance constitutionnelle du développement durable et de la protection des droits des générations futures.
Le projet a été au centre d’un débat organisé le 18 juin 2013 –et modéré par Radhi Meddeb, p-dg de Comete Engineering et président de l’association Action Développement Solidaire (ADS)- au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, à Paris, dans le cadre de la première semaine économique tunisienne en France. Une rencontre durant laquelle on s’est demandé si cette instance à l’acronyme impossible à prononcer avait les caractéristiques et les prérogatives susceptibles de lui permettre de bien s’acquitter de sa mission. Et la plupart des intervenants étaient tentés de répondre par la négative, tant l’Instance constitutionnelle du développement durable et de la protection des droits des générations futures inspirait doutes et inquiétudes.
Ces doutes trouvent fort probablement leur origine, d’abord, dans l’apparent manque d’intérêt d’une partie au moins des membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) pour une renaissance du CES, fût-ce sous une autre forme et une autre appellation. En effet, comment interpréter autrement le fait, relevé par l’universitaire Neila Chaabane, que la création d’un organisme devant remplacer le CES «ait figuré dans la première mouture du projet de nouvelle Constitution, disparu de la seconde et fait sa réapparition dans la quatrième?».
Dans ce projet, l’Instance constitutionnelle du développement durable et de la protection des droits des générations futures est une instance consultative destinée à donner son avis sur les projets de loi à caractère économique et social et sur les plans de développement. Cette instance «doit aussi être une force de proposition», critique Mohamed Ennaceur, ancien ministre puis président du défunt Conseil économique et social –avant et après le 14 janvier 2011.
De son côté, Neila Chaabane relève au moins trois lacunes dans le projet du nouveau CES. La première concerne le «flou ayant trait à l’auto-saisine». La seconde réside dans les conditions d’appartenance à la nouvelle instance: l’expertise et l’intégrité. Si la première ne lui pose pas problème, cette universitaire «comment on va démontrer» la seconde.
La troisième –et probablement la plus grave- tient au mode constitution de l’Instance constitutionnelle du développement durable et de la protection des droits des générations futures: l’élection par la future assemblée appelée à remplacer l’ANC après les prochaines élections. «Comment cette instance pourrait-elle être indépendante par rapport aux partis politiques?», s’interroge en réaction Neila Chaabane. Dont l’inquiétude est partagée par Jean-Paul Delevoye.
En effet, pour le président du CESE, «une institution n’a de crédit qu’aux yeux de ceux qui l’écoutent. S’il y a le moindre soupçon de connexion avec le politique, c’est foutu. Donc, l’élection (du Conseil économique et social, ndlr) par une assemblée est une subordination qui n’a pas lieu d’être». Car «en créant une assemblée politique on réduit la possibilité d’associer les représentants de la société civile et on prend le risque d’y importer les problématiques et les enjeux politiques».
La solution, alors? D’après le président du CESE, elle réside dans «la désignation des membres par leurs propres organisations en respectant la pluralité. Ce qui permet d’éviter que le CES soit perçu comme dépendant du pouvoir».
Membre de la Troïka au pouvoir, Elyès Fakhfakh reste zen et optimiste face à un tel flot de critiques. Le ministre des Finances est en effet confiant «qu’on trouvera la bonne représentation pour le CES et les autres instances. Tout comme nous avons réussi à le faire durant la première transition avec la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique».
Dont acte. .