Elle est née dans la douleur et d’un imbroglio constitutionnel. Elle a cependant donné à la Tunisie son bouclier d’individualité : le nationalisme. On la voit mal assise dans la foulée de la transition. Court-elle un risque?
Par un singulier tour de l’histoire, cet édifice démocratique est né, il faut bien le dire, des suites d’un coup de force légitimiste. Au final, cette Construction est-elle aussi “solide“ que la décrivait son principal artisan, Habib Bourguiba?
L’Etat, le pouvoir, le peuple et l’esprit communautaire
La Tunisie est vieille de plusieurs millénaires, c’est un fait avéré. L’Etat est une notion ancienne, et le pouvoir politique, dans notre pays, a pris diverses organisations. L’Etat a pris forme chez nous depuis l’antiquité et une certaine pratique de gouvernance, développée localement, s’est installée dans les usages. De ce point de vue, le sénat de la Tunisie proconsulaire était au cœur de l’actualité de son époque.
Mais l’Etat a connu de vagues de changements, la plupart du temps imposés soit par des vagues d’occupation étrangère ou, accessoirement, des convulsions sociales. Et, à chaque fois, la base sociologique, nécessaire à l’exercice du pouvoir, changeait.
En toute probabilité, la dynastie husseinite, d’origine métissée, a fait apparaître la notion de “Démos“, c’est-à-dire d’entité populaire avec un sous-jacent national. La résistance à l’occupation française, quoique conduite par des tribus diverses, relevait bien d’un sentiment d’identité communautaire.
Le sentiment national et l’avènement de la République
La nuit coloniale fut une véritable descente aux enfers. Le peuple, spolié de sa souveraineté, démuni de ses richesses a touché le fond. Par miracle, le tissu de solidarité communautaire a fait que, dans les années trente, un esprit tunisien est né, en résistance à la fatalité de la pauvreté et de la colonisation. Ce souffle d’émancipation, comme un chant de Gospell, est sorti des entrailles d’un mouvement de remembrement populaire qui a donné naissance à la manière d’un Black Spiritual, à une conscience politique nouvelle.
Ainsi est né le sentiment national. Cette pulsion identitaire a structuré le mouvement de lutte nationale mais a également fait naître un projet de société pour un specimen d’Etat.
Il est vrai que le mouvement réformiste national, commencé avec Khereddine, avait une certaine envergure. Mais la particularité, ici, est que l’Etat tunisien, engendré par l’indépendance, était issu d’une sédimentation populaire nationale. La première fois que le pouvoir était engendré par des racines locales. De surcroît, la volonté populaire avait dessiné les contours de ce que doit être la forme de pouvoir. Un pouvoir national, de proximité populaire. C’étaient les deux ingrédients d’une souche, qui était bien conçue, mais qui fut, hélas, tronquée de ses fonctions démocratiques.
Le patrimoine républicain, le nationalisme tunisien
La République tunisienne possède un index génétique, bien original. Elle est populaire, nationaliste mais sans fonctionnement démocratique. L’administration tunisienne a été la couveuse de la citoyenneté. Elle a été l’instrument d’une volonté d’égalitarisme, qui n’est pas allé au bout de sa course. Fatalement, elle portait en elle les prémices des blocages sociaux qui ne pouvaient se résorber que par une gouvernance démocratique qui n’existait pas.
Le projet, tout en étant volontariste, et porteur d’espoir, courait un risque de grippage. Malgré cette malformation, dirions-nous, le projet républicain a apporté à la Tunisie une marque de fabrique propre. L’identité arabo-musulmane recevait une couche supplémentaire de tunisianité. Le pays a désormais une individualité.
En peu de mots, ce trait est celui qui a fait de la Tunisie un pays si particulier. La Tunisie pouvait, à égale distance, plaider en faveur de la cause de la Palestine que de la Namibie. La raison est que la République a adopté des principes irréprochables. Elle a mis en avant un référent politique inattaquable, à savoir la politique des étapes, la primauté de l’essentiel sur l’important ainsi que l’attachement à la légalité internationale.
Cette empreinte spécifique fut enrichie dans la foulée de l’expérience républicaine par un autre credo majeur, à savoir comment un pays peut-il créer les moyens de son immunité, dans le concert des nations. La réponse tunisienne est, pour le moins, pertinente. En secouant tous les instruments de la domination et de la soumission, le peuple, via la République, s’est déclaré maître de son destin. C’est là un trait d’exception tunisienne qu’aucun autre peuple arabo musulman n’a accompli.
Ses choix ultérieurs ont été déterminants: le savoir et la connaissance, pour former les esprits et la possession de la technologie pour la puissance économique. Restait en suspens la question de la liberté. C’est de la manière de résoudre cette question que la République tunisienne continuera sur sa lancée ou pourrait se retrouver définitivement off track. La question se joue actuellement sous nos yeux. L’instant est on ne peut plus politique et la circonstance est on ne peut plus impérieuse.
Le salut de la République nécessite un engagement citoyen concret, cette fois, sur terrain. La partie est en train de se jouer.