Assassinat de Mohamed Brahmi : Tunis doit protéger le pluralisme

Par : Autres


mohamed-26072013-art.jpgEdito
du “Monde”. Près de six mois après l’assassinat de Chokri Belaïd, un autre
opposant au pouvoir islamiste a été tué en Tunisie. Mohamed Brahmi, député de
gauche à l’Assemblée nationale constituante, est mort, jeudi 25 juillet, devant
chez lui, à Tunis, sous les yeux de sa famille, le corps criblé de balles tirées
par deux inconnus circulant à moto. Même modus operandi que pour Chokri Belaïd.
Mêmes auteurs ?

Les assassins n’ont pas seulement choisi leur cible : un laïque de gauche proche
des syndicats et un critique du pouvoir islamiste. Ils ont également choisi leur
date: le 25 juillet, jour où la Tunisie célèbre, comme chaque année, l’avènement
de la République en 1956. Pour le chef du parti Ennahdha au pouvoir depuis
octobre 2011, Rached Ghannouchi, pour le président de la République, Moncef
Marzouki, et pour les responsables du gouvernement, l’objectif des assassins est
clair: faire capoter la transition démocratique et démontrer que le “printemps
arabe” tunisien est un échec.

Pourtant, la Tunisie ne s’en sort pas si mal. Après des mois de passes d’armes
verbales parfois indécentes –et une importante perte de temps, préjudiciable à
l’économie tunisienne–, l’Assemblée dominée par Ennahdha venait de s’entendre
sur une nouvelle Constitution. Un grand pas venait d’être franchi.

Nul ne sait aujourd’hui qui est derrière cet assassinat. Mais, dès l’annonce de
la mort de l’opposant, le regard accusateur de nombre de Tunisiens – surtout
dans la frange laïque, qui ne se retrouve pas dans l’islamisme modéré d’Ennahdha
et vit sous la menace croissante des violences de nombreux groupes islamistes –
s’est tourné vers le parti au pouvoir.

Comme après la mort de Chokri Belaïd, attribuée à des islamistes radicaux, des
permanences d’Ennahdha ont été incendiées en province. Des manifestants se sont
réunis devant les bâtiments du gouvernement pour demander sa démission. Un appel
à la grève générale a été lancé par l’UGTT, le principal syndicat tunisien.

Pourtant, si Ennahdha a fait de nombreuses erreurs depuis son arrivée au
pouvoir, les autres acteurs de la vie politique, sociale et syndicale portent
aussi leur part de responsabilité. Plutôt que de tendre la main à certains
éléments d’Ennahdha, chacun a joué son jeu, en faisant fi de l’intérêt national.

Du coup, la Tunisie est aujourd’hui écartelée entre deux camps: les pro- et les
anti-Ennahdha, chacun l’œil rivé sur les événements d’Egypte, où la rue et
l’armée ont délogé le gouvernement démocratiquement élu des Frères musulmans,
proches du pouvoir à Tunis.

Si tous les acteurs de la vie politique tunisienne ont trop joué avec le feu
depuis deux ans en pratiquant une surenchère tous azimuts, les pays européens
feraient bien de se montrer modestes. En particulier la France, l’Espagne et
l’Italie, qui n’ont eu de cesse de soutenir Ben Ali pendant ses vingt-trois ans
de règne. Celui-ci était alors perçu comme un rempart contre l’islamisme
radical. On voit aujourd’hui le résultat : un apprentissage difficile de la
démocratie, et des extrémistes qui sortent du bois, invoquant Allah après avoir
grandi dans la haine de Ben Ali et de ses alliés occidentaux.

Jeudi, ce n’est pas seulement un homme qui est tombé. C’est la démocratie
tunisienne et le pluralisme qui ont été visés. Et, dans une république, il
revient au pouvoir élu et à l’ensemble des responsables politiques de tout faire
pour les protéger.

Source : Le monde.fr