L’assassinat de Mohamed Brahmi a provoqué de nombreuses manifestations dans le pays. 70 députés ont gelés leurs activités au sein de l’ANC pour réclamer la chute du gouvernement et l’achèvement de la Constitution par des experts.
Dans la soirée de dimanche à lundi (28 juillet) et après avoir passé une nuit de samedi à dimanche chahutée, menacée et tabassée, voici donc venu pour une partie des Tunisiens le temps de la dernière ligne droite de ce qui pourrait être un vrai tournant dans la phase de transition que vit le pays.
Un tournant bien loin de l’image “carte postale“ que présentait Ali Larayedh, chef du gouvernement quelques jours auparavant au cours d’un entretien accordé à plusieurs radios nationales durant lequel il se targuait du retour de la sécurité, du redémarrage de l’économie et faisait un bilan d’autosatisfaction de son action gouvernementale.
Entre temps, un autre assassinat a eu lieu. Il signe le temps d’une révolte anti-islamiste dont les signes se voient, s’écoutent et se lisent partout.
Des graffitis de slogans révolutionnaires habillent les murs des villes, des régions se soulèvent, des déclarations de politiques et de militants de la société civile se multiplient, des témoignages d’artistes et de citoyens aux journaux télévisés ou dans les émissions radiophoniques décriant Ennahdha au pouvoir passent en boucle.
Ces mêmes déclarations se multiplient durant les spectacles des festivals internationaux qui font le plein à Carthage, Hammamet ou Gafsa. La colère gronde et les appels au soulèvement se font entendre jusque dans l’hôpital Charles Nicolle où la dépouille de Feu Mohamed Brahmi a été autopsiée. «Rendez-nous notre Tunisie. Nous ne vous laisserons plus faire, diviser, terroriser, tuer…», hurle de rage un médecin sorti accompagner le corps criblé de balles de la dépouille avant sa dernière route vers le cimetière Jellaz.
Alors que samedi, le président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar, a appelé a la pondération, à ne pas tomber dans la politique des «chaises vides» et de ne surtout pas laisser le pays sombrer dans une violence dont on ne connaît guère l’issue, en s’adressant dans un message télévisé au peuple tunisien, les cafés restent bondés et la vie à Tunis ne ressemble en rien à l’idée que l’on pourrait s’en faire.
Les jeunes se promènent dans les rues, les femmes fréquentent les cafés jusqu’au petit matin, les plages sont bondées et les pâtisseries délivrent des centaines de milliers de «Bouza» faites pour agrémenter les soirées ramadanesques.
Le message de Ben Jaafar a-t-il convaincu? Loin s’en faut! La confirmation du gel des députés tombe dès le lendemain et le mouvement «Irhal» réussit une gigantesque mobilisation. Dans la nuit du dimanche à lundi, «Irhal» organise un «Iftar» gigantesque. Une source policière estime à 10.000 le nombre de manifestants qui appellent à faire tomber le gouvernement, Ennahdha et la Troïka au pouvoir. Ils s’en prennent nommément à Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste, via des slogans réclamant son départ et son arrestation.
Durant le week-end de tous les dangers, le gouvernement se fissure aussi. Alors que l’on avance dans toutes les négociations entre partis politiques et société civile sa démission, à ce jour, seul le ministre de l’Education nationale l’a réellement fait. Mais dans les couloirs, des rumeurs font état de la démission des ministres des Affaires étrangères, de la Justice; on évoque même la démission de Hédi Ben Abbès, conseiller auprès du président de la République…
On parle même de la démission du ministre de l’Intérieur qui a démultiplié, depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi, les erreurs autant que les aveux. Des erreurs dans les enquêtes des assassinats des martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, un manque de cohérence dans les réponses fournies et procédures suivies durant les enquêtes, le manque d’expérience dans la maîtrise du dossier sécuritaire -et l’inefficacité d’un homme intègre ne maîtrisant ni ses dossiers ni ses hommes.
Le ministre de l’Intérieur a également multiplié les aveux d’échec en reconnaissant ne pas avoir ordonné l’attaque faite contre les manifestants pacifistes devant l’ANC. Les manifestants ont été gazés et tabassés. La violence qui s’est alors abattue a même conduit aux urgences le député Mongi Rahoui.
Différents témoins rapportent que différents corps de la police se sont battus entre elles. Une partie soutenait les manifestants alors qu’une autre les chargeait. Des parties d’un même corps qui obéissent à des directives et des règles différentes et qui témoignent d’un point de non retour. La division d’un pouvoir exécutif qui devient un danger pour lui-même et pour son peuple.