Que veut dire la «Charriya»? Celle des urnes qui ne trouve plus d’écho dans la réalité, le quotidien et les rêves des gens? Celle qui se veut représentative des aspirations et projets des populations et l’usurpe. Celle qui vole du peuple le mandat qu’il lui a confié?
La Charriya est aussi consensuelle. Elle est issue du dialogue, nous matraque-t-on à longueur des journées sur les plateaux de télévision et à toutes les déclarations des apprentis politiques de notre pays.
Ses seigneuries détenteurs de la Charriya répètent à tue-tête que celle-ci ne saurait tomber que par d’autres élections.
Soit, si nous parvenons à occulter les morts, les larmes, les pertes, les craintes, n’arrivons-nous pas à la même conclusion? N’est-ce pas à l’ANC de mettre en place les structures à même d’organiser les prochaines élections? Que faire si l’on ne peut faire tomber l’ANC que par d’autres élections et que cette institution, que tout démocrate devrait respecter et soutenir, se refuse de faire, banalise la perte de temps, revient sur ses engagements? Jusqu’à quand faut-il tolérer l’inefficacité de l’ANC?
Jusqu’à quand faut-il justifier l’injustifiable sous prétexte d’apprentissage? Jusqu’à quand faut-il pardonner aux députés qui ont brillé par leur médiocrité, virulence, haine, absentéisme, manque de transparence et de sérieux ainsi que par le souci de vedettariat faisant du Bardo un cirque et provoquant de l’urticaire chez une grosse partie des Tunisiens?
Comment Mustapha Ben Jaafar, président de l’ANC, veut-il, aujourd’hui, alors que plus de soixante-dix députés gèlent leur présence à l’ANC, avoir de l’ascendant sur eux après les avoir autant méprisés? Comment veut-il que des députés répondent à sa demande de ne pas laisser la chaise vide, alors que lorsqu’elles étaient remplies, il ne savait ni les écouter ni comprendre?
Comment cette ANC peut-elle être crédible quand elle a été déboutée par le tribunal administratif? Comment peut-elle continuer d’exercer quand elle ne révoque pas un gouvernement qu’elle a nommé?
Comment peut-elle faire entendre sa voix quand elle n’assume rien? Comment pense-t-elle qu’une partie de la population, de la société civile, de l’opposition puisse continuer de courber l’échine devant une instance qui n’a qu’une seule idée en tête, “faire durer un pouvoir provisoire et gagner du temps“? A quoi sert la légitimité si elle n’est reconnue que d’eux-mêmes?
Le bilan de l’ANC est pitoyable. Son curseur se trouve entre le déni, l’autisme et le dédain. Ne suffit-il pas de voir un pays souffrir et s’enliser, se haïr et s’entretuer pour le comprendre?
Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, déclarait à une télévision étrangère que la situation était critique et qu’il en s’agissait nullement «de faire tomber le toit sur la maison». La maison était, selon lui, l’ANC. Or, la maison pour les Tunisiens c’est la Tunisie et non l’ANC! Et c’est bien là que réside la fracture entre les nouveaux gouvernants et les populations qui s’estiment lâchés par des élus sortis des urnes mais qui ont trahi la révolution, ses aspirations, sa jeunesse…
La Tunisie a dépassé le stade de “pire situation“. Le rouleau compresseur de la dictature est bel et bien en marche non pas parce qu’il est démenti par la mainmise sur l’Etat ou par le réveil draconien de la contre révolution mais aussi et surtout parce qu’il a aboutit à l’échec de la classe politique actuelle.
Les populations sont désarçonnées par un quotidien difficile, une économie qui s’écroule et l’incompréhension des enjeux de la phase actuelle. Elles voulaient –enfin bonne partie d’elles- une Constitution progressiste et ouverte, une feuille de route claire, une confirmation des institutions démocratiques et espéraient qu’elle pourrait être l’espace de construction de tous les avenirs et un réceptacle des aspirations autant qu’un espace de contestations et d’apprentissages.
C’est désormais une page fortement compromise, à défaut d’être complètement tournée.
De quoi sera fait demain? Les prochains jours seront déterminants pour l’avenir de la Tunisie à l’heure où il se confirme une fois encore qu’il n’y a pire déception que celle que l’on afflige à tout un peuple.