Dettes et “finance de l’ombre”, des bombes à retardement en Chine

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Vue de Pudong, le quartier financier de Shangjai, le 23 juillet 2013 (Photo : Peter Parks)

[30/07/2013 07:46:18] Pékin (AFP) Victime des déséquilibres de son système financier, la Chine se débat avec l’explosion des dettes publiques, notamment celles des gouvernements locaux, et la prolifération d’instruments de crédit non régulés, des bombes à retardement selon les experts.

Les autorités ont annoncé dimanche que la Cour des comptes chinoise allait procéder à un audit “urgent” de l’ensemble de la dette publique, et envoyer dès les prochains jours des enquêteurs dans les provinces et les villes.

Ce coup de semonce intervient une semaine après un rapport du Fonds monétaire international (FMI), où ce dernier s’est inquiété du net accroissement des obligations émises par les autorités centrales et locales, dont le total approche selon lui les 45% du produit intérieur brut (PIB) du pays.

Depuis le dernier audit réalisé mi-2011, la dette des gouvernements locaux (municipalités et provinces) pourrait avoir bondi de 10.700 milliards à 17.500 milliards de yuans (2.130 milliards d’euros), estiment les économistes de Société Générale.

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âtiment en construction à Pékin le 14 juillet 2013 (Photo : Wang Zhao)

Soucieux de gonfler à tout prix l’activité face à une conjoncture morose, les autorités locales ont emprunté de vastes sommes, les investissant notamment dans de grands projets d’infrastructures – parfois déconnectés de l’économie réelle et sans véritable rentabilité – et édifiant de fastueux bâtiments officiels.

Pour ce faire, l’endettement est un choix par défaut: la majorité des impôts collectés vont au gouvernement central et la vente de terrains immobiliers est la seule grande source de revenus, mais limitée, à la disposition des gouvernements locaux.

Une fuite en avant à laquelle les autorités centrales souhaitent désormais mettre un terme – Pékin a entre autres annoncé récemment l’interdiction pour cinq ans de toute nouvelle construction de bâtiments institutionnels.

Or, dans le même temps, les crédits souscrits par le secteur privé ont explosé – en grande partie via des instruments financiers non régulés (sociétés fiduciaires et officines de micro-crédit) qui ont prospéré en dehors des grandes banques d’Etat.

Ce système parallèle de “shadow banking” (ou finance de l’ombre) a tellement gonflé au cours des deux dernières années qu’il pesait fin 2012 jusqu’à 29.000 milliards de yuans (3.550 milliards d’euros), soit 55% du PIB, selon Moody’s Investors Service.

“Ce n’est pas de gaieté de c?ur que l’on décide de passer par ces voies non officielles pour se financer. Les intérêts exigés sont exorbitants et les durées de remboursement cruellement brèves. Ce sont ceux qui ne peuvent pas emprunter auprès des banques qui doivent se résoudre à recourir à la finance de l’ombre”, explique Wei Yao, analyste de la Société Générale.

Les établissements bancaires, contrôlés par l’Etat, préfèrent en effet prêter généreusement aux grands groupes publics et ignorer les petites et moyennes entreprises, jugées moins fiables et ayant moins d’entregent parmi les cadres de l’administration. Les relèvements successifs des taux de réserves obligatoires des banques ont encore réduit leurs marges de man?uvre.

Outre les entreprises, les gouvernements locaux, pénalisés eux aussi par des restrictions d’accès au crédit traditionnel, ont mis en place des entités se finançant auprès de cette “finance de l’ombre”, ajoute Wei Yao, pour qui le “shadow banking” a “clairement accru la vulnérabilité d’un secteur financier chinois” déjà grevé par l’endettement.

Le total cumulé des prêts bancaires classiques et “créances non-traditionnelles” équivaut désormais à près de 200% du PIB, contre 130% en 2008, a précisé mi-juillet Markus Rodlauer, chef de mission pour la Chine pour le FMI.

“Les superviseurs bancaires n’arrivent pas à suivre le rythme”, et “cela crée des questions sur la qualité du crédit, de la gestion de la liquidité”, a-t-il observé. De son côté, l’agence Moody’s met en garde contre “l’apparition de bulles d’investissement”, évoquant le spectre de la crise des subprimes américaine.

Une sévère crise de liquidités avait ébranlé en juin le marché interbancaire chinois, ravivant les inquiétudes sur la santé du secteur financier dans son ensemble.

“Une partie importante des crédits contractés sert à reconduire des dettes ou à payer les intérêts des emprunts précédents. Un montant significatif de liquidités tourne dans le système financier plusieurs fois avant d’atteindre l’économie réelle à un coût nettement renchéri”, décrit de son côté Jian Chang, économiste de Barclays.

Outre des investissements mal orientés et une allocation très inefficace du capital, “cela renforce nos craintes (…) d’une montée des crédits non honorés”, poursuit-il.

En effet, pour Mark Williams et Wang Qinwei, analystes du cabinet Capital Economics, “beaucoup de prêts accordés à des emprunteurs public ne seront jamais remboursés” et “à un moment donné, l’Etat devra renflouer les entités mises en place par les gouvernements locaux” pour emprunter, et “il n’est pas sûr que cela se fera en douceur”.

Confirmant sa volonté de rééquilibrer le système, Pékin a annoncé la semaine dernière une forte réduction de la pression fiscale sur les petites entreprises, tandis que le gouverneur de la banque centrale appelait vendredi à renforcer les crédits à leur attention.