Dans un passage télévisé accordé à la chaîne nationale Wataniya 1, Rached Ghannouchi (RG), leader du parti Ennahdha, a commenté les récents événements survenus à la suite de l’assassinat de Mohamed Brahmi.
Il a dans ses propos comparé l’Assemblée nationale constituante (ANC) aux fondements d’une demeure dont 90% ont déjà été achevés, mais que l’opposition, accompagnée d’une frange du peuple, s’apprête à détruire sur leurs têtes. «Notre demeure risque de s’effondrer sur nos têtes et nous aurons à assumer de graves conséquences», dit-il.
Affichant une mine décomposée, le leader d’Ennahdha a indiqué que le pays va droit dans l’inconnu depuis que la dissolution de l’ANC est d’actualité. La Tunisie ne peut supporter le vide politique que pareille situation pourrait engendrer. Cependant, il se dit disposé à «rafistoler» ce qui est susceptible de l’être pour sauver ce qui peut encore l’être, et estime que l’ANC est le toit de la Tunisie.
Ce propos résume parfaitement le gouffre qu’il y a entre Rached Ghannouchi et une partie des Tunisiens qui refusent sa perception des choses. Si pour lui, le toit est l’ANC, pour la majorité des Tunisiens, c’est la Tunisie qui est le leur. C’est elle leur identité, quotidien et horizon. C’est elle qui les fait vivre et, quand bien même elle est malmenée, elle reste la mère partie.
Cette énième déclaration de Rached Ghannouchi est symptomatique du rejet qu’il fait de la Tunisie en tant qu’Etat moderne, républicain et indépendant. Durant ces divers discours, le mot Tunisie a toujours été utilisé au compte-goutte par RG, et on note rarement la présence du drapeau tunisien sans être accolé de celui d’Ennahdha.
Depuis son retour en Tunisie et bien que l’on retienne de lui le geste d’embrasser la terre tunisienne à l’aéroport, Rached Ghannouchi et son parti s’attaquent à tout ce qui fait la Tunisie ouverte, tolérante, carrefour des civilisations. Plus que jamais, l’école agonise, l’administration étouffe, l’université suffoque, les entreprises coulent, le peuple se divise…
Alors que celui qui déclarait que le programme de son parti était de s’orienter vers une économie sociale et que «ce qui a été détruit en 50 ans ne peut pas être réparé en 2 ans», a péché par un excès de zèle. A force de vouloir tout occulter de la Tunisie, il a fini par jeter le bébé avec l’eau du bain.
Lui qui promettait de reconsidérer la question de l’héritage entre les hommes et les femmes sur fond de campagne électorale, promettait de construire une autoroute de la capitale vers Kasserine, Kairouan, Sidi Bouzid, Gafsa, s’engageait à trouver du travail à des centaines de milliers de chromeurs, promettait de convaincre les salafistes pour qu’ils travaillent au sein de la société civile, se trouve lui-même rejeté.
A force de ne pas se considérer lui-même comme un enfant de la Tunisie, il a semé la haine et récolte la tempête. Au lendemain des élections, Rached Ghannouchi déclarait que «la révolution n’a pas eu lieu pour détruire un Etat, mais pour détruire un régime. Nous sommes déterminés à protéger l’Etat tunisien”, disait-il. “Il y a eu une révolution dans ce pays. Les gens veulent un changement de politique et de visages”. Mais des visages et des politiques qui portent la Tunisie et les Tunisiens vers l’avant, vers la paix, la prospérité, la dignité.
A force de vouloir dialoguer avec les salafistes qu’il considérait comme «ses enfants», voici qu’il a oublié de dialoguer avec une grosse partie des Tunisiens et se retrouve aujourd’hui plus que jamais isolé. Grisé par le succès, le pouvoir, Rached Ghannouchi a tout fragilisé sur son passage jusqu’à ses propres partenaires politiques.
Enfermé dans une posture défensive, Rached Ghannouchi ne réussit pas son passage de la clandestinité à la tête du pouvoir avec une base craignant le retour de l’ancien régime et de la répression.