à San Francisco |
[03/08/2013 07:27:36] Washington (AFP) Pendant des jours, le journaliste américain Scott Simon a chroniqué l’agonie de sa mère de 84 ans sur Twitter, brisant un tabou largement répandu que la mort est une affaire privée.
Aux Etats-Unis, les derniers moments d’une vie ne sont pas des moments à exposer publiquement. Pourtant, le journaliste de la radio publique NPR, 61 ans, a choisi de partager ses peines et ses pensées avec ses 1,26 million de followers sur Twitter et de fait, le monde entier.
En 140 caractères ou moins, l’animateur de l’émission Weekend Edition Saturday a fait connaître les dernières plaisanteries de sa mère, Patricia Lyons Simon Newman, hospitalisée en soins intensifs dans un hôpital de Chicago (nord).
Il a publié des photos de sa chambre, et de la vue de la fenêtre.
Et dans les tout derniers moments lundi, il a raconté sur @nprscottsimon: “Le coeur est en train de s’arrêter”. Puis: “Les cieux se sont ouverts au-dessus de Chicago et Patricia Lyons Simon Newman vient de monter sur scène”.
Le lendemain: “On se réveille et on réalise qu’on ne rêvait pas. C’est arrivé. Pleurer. Hier, on ne pouvait pas”.
Les tweets ont continué toute la semaine, avec Scott Simon évoquant le personnel du crematorium (“des gens sympathiques”), les perruques de sa mère (“Qui connaît une association de cancéreux à qui les donner?” ou la nécessité d’aller à la poste pour faire arrêter le courrier.
Les réactions ont été partagées, de l’éloge à la colère.
“Ce qu’a fait Scott Simon est merveilleux, intime”, dit un commentaire à un article du Washington Post relatant l’histoire. “Morbide et irrespectueux”, dit un autre dans le Los Angeles Times, qui estime que cette chronique “n’est pas sur sa pauvre mère mourante. Elle est sur LUI”.
Selon le bureau du recensement, les “baby boomers”, nés entre 1946 et 1964, dont Simon, représentaient 76,4 millions de personnes l’an dernier, soit un quart de la population américaine.
D’ici à 2060, quand le plus jeune aura 96 ans, ils ne seront plus que 2,4 millions soit 0,6% de la population, selon des projections.
Entre-temps, ils doivent affronter la mort de leurs parents et grand-parents. En 2011, les personnes de 65 ans et plus comptaient pour presque deux-tiers de tous les décès aux Etats-Unis, selon des chiffres du Centre de contrôle des Maladies.
Le “dernier tabou”
“Nous sommes entrés dans un monde sans précédent de mort”, écrit l’historien Lawrence Samuel dans son nouveau livre “Death, American Style” (“La mort, à l’américaine”) qui raconte comment la mort aux Etats-Unis est devenue “non-américaine”.
Avant les années 1920, la mort était partagée dans la communauté, dans les veillées, accompagnée en musique comme à la Nouvelle-Orléans, puis l’individu a primé et la mort a été rejetée dans l’ombre.
“C’est notre dernier tabou. Avant, c’était le sexe, maintenant c’est la mort”, dit l’historien à l’AFP dans une interview au téléphone depuis son domicile en Floride.
“C’est le contraire de nos valeurs, la jeunesse, le progrès, le succès. On ne réussit plus rien quand on est mort”, dit-il. La mort est donc très “non-américaine, particulièrement si vous êtes un +baby boomer+ élevé ainsi”, ajoute-t-il.
Néanmoins, il n’évoque pas comment Internet a changé aussi le deuil dans ce pays, avec des cérémonies de souvenir ou des enterrements en ligne pour ceux qui sont loin.
Il y a aussi une mode de la littérature de deuil, estime-t-il en citant des écrivaines comme Joan Didion et Joyce Carol Oates. “Mais là, c’est sur Twitter, pas dans un livre, et cela a des avantages et des défauts: c’est en temps réel et par petits bouts”, dit-il.
Elizabeth Luth, sociologue à la Rutgers University, n’a pas été surprise par la réaction aux tweets de Scott Simon. “C’était surtout une réaction personnelle à sa propre mort, ou à la mort d’un proche”, dit-elle à l’AFP, estimant que “certainement, les réseaux sociaux sont un nouveau terrain d’expression” pour cela.
Jeudi, Scott Simon twittait: “Quelqu’un que je n’aimais pas beaucoup m’a envoyé un si joli message que je ne comprends plus pourquoi je ne l’aimais pas. Merci maman”.