«Si 200.000 manifestants étaient à La Kasbah samedi, ils sont alors 500.000 personnes au Bardo…». Le statut d’un facebooker semble traîner comme ça avec désinvolture. Pourtant, il dit la force que semble retrouver une partie des Tunisiens qui s’opposent aux camps d’en face qui rassemble conservateurs, ultra conservateurs, adeptes de la Troïka au pouvoir, soutien de la légitimité…
Le camp des modernistes enfle, grossit et se renforce au fil des échecs, de la souffrance et des dangers qui pèsent sur la Tunisie.
Le sit-in du Bardo parle enfin
Il dit que la volonté d’un peuple se forge au fur et à mesure que l’on écorne son quotidien et brise ses rêves. Il dit que les Tunisiens s’éveillent une fois encore et se lèvent en un seul homme en brandissant un seul et même drapeau, celui de la Tunisie vive, ouverte, tolérante, combative mais oh combien frêle, surprenante, irrégulière… Il dit que Bardo s’est démultiplié à Kasserine, Sidi Bouzid, Sfax, Sousse…
Bardo contre Kasbah? Oui mais….
Le Bardo, au delà de la contestation, est une promesse d’un avenir meilleur. Le projet de la reconstruction via une démocratie à bâtir, des acquis à sauver et des défis à relever.
Mais qui sont-ils justement les gens du camp du Bardo? Depuis combien de temps résistent-ils? Que revendiquent-ils?
Au Bardo, cela fait 10 jours qu’ils se mobilisent. Ils sont devant le siège de l’ANC qui devient centre de la contestation d’Irfhal, un mouvement qui demande la démission du gouvernement, l’annulation de l’ANC, l’indépendance de la justice, des élections…
Dix jours que le mouvement maintient la pression sur le gouvernement, l’ANC, l’opposition…
Dix jours que les manifestants ont décidé de prendre les choses en main afin de faire renverser la tendance; celle d’un pays qu’on malmène et qu’on veut plomber par les manipulations, les faux débats sur l’identité et une montée de l’extrémisme religieux qui passe en mode terrorisme depuis peu.
“Ils“, ce sont la société civile, des jeunes “révolutionnaires“, des artistes, des syndicats de divers corps de métiers, des chômeurs, des hommes, des jeunes et des moins jeunes, des Tunisiens qui vibrent et pleurent souvent d’émotion quand ils entendent l’hymne national tunisien.
“Ils“, ce sont “elles“ aussi. Des femmes qui se sont mobilisées hier en masse contre la violence et le terrorisme. Vêtues de rouge et blanc, elles ont marché en ligne pour dénoncer la violence qui s’empare de leurs enfants, maris, frères et sœurs, et le pays…
“Ils“, ce sont les blessés de la révolution, de Kasserine et victimes des nombreux tabassages que fait rarement la police dans le camp d’en face.
“Ils“, ce sont les parents de ceux que l’on envoie au djihad en Syrie, manipulés et dogmatisés et qui ne se remettent pas de la douleur de perdre leurs enfants.
“Ils“, c’est aussi le jeune Hamza Belahdj qui a été renversé par une “baga” de policiers à 4h du matin lors de la dispersion des sit-inneurs du Bardo quelques jours auparavant et à qui on a failli amputer la jambe car leur voiture lui avait sciemment roulé dessus.
“Ils“, ce sont les députés qui ont été tabassés et qui s’opposent, pas toujours cohérents ni performants, mais mus par leur seul amour de la patrie.
“Ils“, ce sont les partis d’opposition qui ont laissé leur logo et drapeaux de côté pour se fondre et s’unir à un peuple qui n’a pas oublié pourquoi il a fait la révolution.
Un peuple qui, une fois encore, donne une leçon de courage autant au pouvoir qu’à l’opposition.
Un peuple déçu de ses élites et qui, par ses multiples manifestations -dont le Bardo n’est certainement pas une solution mais un moyen de pression-, innove, étonne, détonne par son civisme, son courage et fait entendre sa voix.