Le tourisme est-il encore d’actualité en Tunisie? Le secteur a-t-il sa place dans les choix stratégiques de demain et résistera-il à la crise sans précédent qui le frappe? Veut-on le sacrifier et «profiter» d’une transition démocratique très difficile pour activer sa mise à mort?
Pour comprendre la situation, commençons par les récentes déclarations du ministre du Tourisme, Jamel Gamra, qui a du mal à trouver des mots pour expliquer l’inexplicable, la mise à mort d’un secteur qui ne résistera pas à une troisième année difficile.
Il dit en substance, sur les ondes d’une radio nationale, «la situation est très préoccupante. La Tunisie vit une crise politique grave qui impacte fortement sur le tourisme qui est un secteur tributaire de joie, d’ouverture, de générosité, de bon accueil. Les tensions et les peurs lui sont incompatibles. Il nous faut sortir au plus vite de cette crise pour se remettre au travail, réparer les dégâts et retrouver des forces… Nos objectifs de 7 millions sont encore possibles. En 2016, nous ferons 10 millions de touristes».
Du côté des Fédérations professionnelles, le son est à peu près le même. La Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) a exprimé sa profonde préoccupation quant à la situation actuelle et son impact sur le secteur touristique. Radhouane Ben Salah, revenant de deux mandats précédents à la tête de la Fédération, a déclaré que les annulations des réservations se multiplient à la suite des assassinats politiques et de l’attentat terroriste de Jebel Chaambi.
Un peu moins alarmant, Mohamed Ali Toumi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV), a déclaré que “ces évènements ont impacté indirectement le tourisme, car il n’y a presque pas eu d’annulations, à part quelques groupes dans le cadre de tourisme d’affaires. On a également quelques soucis avec les Algériens et les Italiens. Mais ce qui est alarmant, c’est la suspension totale de réservations pour le reste de la saison. Zéro ventes, plus du tout de réservations! Ceci est un indice très négatif!”.
Qui croire? Un ministre qui se rassure, cultivant la positive «attitude»? Un vieux routard, revenant du temps des années de gloire de l’ancien système criant à la cata, ou un jeune qui se démène représentant un segment, celui des agences de voyages, qui a toujours été le canard boiteux du tourisme tunisien?
A moins que la situation soit tout cela à la fois! Autant dire une situation et son contraire. Et là seulement, les diverses postions parviendront, peut-être, à résumer les paradoxes et le désarroi de tous les intervenants (opérateurs, administration et politiques) qui ne savent ni où donner de la tête ni accorder leurs violons.
Résultat des courses, tous paraissent non seulement fragilisés et désorientés mais dévoilent aussi et surtout leur inaptitude à affronter les problèmes et à trouver des solutions en raison de leur manque de concertation, de solidarité et de clairvoyance.
Pour rappel, le tourisme tunisien a été au lendemain du 14 janvier un enjeu de taille que se sont disputé les politiques durant la campagne électorale du 23 Octobre prônant pour un tourisme plus «hallal», plus culturel, régional…
Tous les partis politiques se sont alors succédé pour jouer, critiquer, reconstruire, dévaloriser et déprécier la carte “tourisme“. Ils n’ont pas prévu qu’à ce jeu, ils allaient jeter le bébé avec l’eau du bain et décrédibiliser le secteur au profit de leur aura.
Ensuite, vint le temps des gouvernements provisoires. Tous, sans exception, ont fait parler les chiffres du tourisme et manipulé les enjeux qui lui sont liés à leur profit. Le secteur a servi de faire valoir pour rassurer sur la transition que vit le pays, mais aussi pour lever les doutes sur certaines de leurs prestations.
L’opposition, pour sa part, a abusé d’un langage alarmiste, mettant en avant des résultats médiocres comme pour annoncer la faillite d’une économie dont le tourisme est l’un des principaux piliers.
A l’arrivée, le tourisme tunisien, malmené par une conjoncture mondiale et régionale très difficile, paye un lourd tribut aux apprentis politiques.
Qui abuse de la politique du déni et continue à se cacher derrière de fragiles croissances et hypothétiques chiffres comme, une fois encore, dans les dernières déclarations du chef du gouvernement Ali Larayedh.
Le tourisme a fini par démobiliser toutes les initiatives qui, pourtant au lendemain du 14 janvier, étaient innovantes, courageuses, fédératrices, originales et nombreuses.
Mais hormis les politiques, que nous disent les chiffres?
Le secteur enregistre +1,4% par rapport à 2012, et au 31 juillet la destination a accueilli près de 4 millions de touristes.
Les objectifs de l’actuelle gouvernance restent toujours d’atteindre les 7 millions de touristes pour l’année en cours. On pourrait concéder un million en cours de route en raison de l’actualité alarmante et de la crise politique que traverse le pays. Il est vrai que la situation ne permet guère mieux! Mais si vite la sécurité se rétablit, le gouvernement promet de mettre les bouchées doubles pour faire une vraie campagne de promotions et de communication et vite faire des miracles.
En attendant de faire la Tunisie une destination de rêves, il est clair que le tourisme évolue dans la cours des miracles.