Avant elles, il y avait les veuves de la révolution. Celles dont les enfants et les maris sont tombés durant les événements du 17 décembre -14 Janvier. Désormais, et en cette phase délicate que traverse la Tunisie, il y a les veuves de la transition.
“Elles“, ce sont les veuves du policier Lotfi Zar, de Lotfi Naghed, les veuves des soldats tués à «Rouhiya» et au mont Chaambi. Il y a aussi et surtout Basma Belaïd, Mbarka Brahmi…
Ce qui rallie ces deux dernières n’est pas seulement le terrorisme qui a tué leurs maris et pères de leurs enfants.
Ce qui les unit, c’est qu’elles ont choisi de continuer le combat de leurs époux et de porter leur message de rébellion en prônant la liberté et la justice. Le temps d’un meurtre, elles sont devenues le symbole d’une Tunisie qui se bat pour le droit à la différence, à la démocratie, à l’égalité des chances …
Basma Khalfaoui Belaïd est une femme forte et combative. Durant les funérailles de son mari, Chokri Belaïd, abattu le 6 février 2013, elle soutenait ceux qui, effondrés, venaient lui présenter des condoléances.
Six mois après, elle se bat toujours pour retrouver les assassins de son mari, et a fondé une association, Arfa, qui aura la mission de répondre aux questions suivantes: Qui a exécuté Chokri Belaïd? Qui en a donné l’ordre? Qui en sont les commanditaires? Qui en est le principal responsable?
Les Tunisiens et le monde entier retiendront l’image d’une femme défigurée par la douleur qui, poing levé, remonte l’avenue Habib Bourguiba derrière le cercueil de son compagnon de route. Désormais, tout pousse Basma Khalfaoui dans l’arène politique. Surtout que la Tunisie a plus que jamais besoin de nouveaux visages, de leaders femmes dont le peuple a partagé la douleur et scandé la même rage.
La veuve de Belaïd le sait plus que jamais. Bien qu’elle avoue ne plus croire au combat politique partisan mais au combat collectif, elle est de tous les combats. Pour elle, l’avenir du pays repose sur la société civile et le mouvement associatif, et elle s’y engage passionnément.
Mbarka Brahmi avait retenu la leçon de l’assassinat de Chokri Belaïd. Alors que son mari est encore à l’hôpital, elle crie sa colère et accuse immédiatement les islamistes au pouvoir: «Je vous félicite Ennahdha et vos alliés de la Troïka. Une fois de plus, vous avez fait taire une voix libre et juste!»
Avec ses filles, elle fait preuve d’un courage indescriptible et va jusqu’à tenir la cérémonie du “Ghiar“ au Bardo, siège de la contestation du mouvement “Irrhal“.
Vêtue d’un voile et souvent entourée de ses enfants, la veuve de Mohamed Brahmi s’avère une oratrice hors pair. Bien qu’elle se fasse rare sur les plateaux de télévision, où qu’elle prenne la parole, elle enflamme la foule.
Audacieuse, elle s’attaque à tous les sujets qui fâchent, évoque la corruption et pointe du doigt «des bandes mafieuses qui ont volé la légitimité au peule» en parlant de l’ANC que son mari voulait quitter avant d’être assassiné. Elle déclare que les «valeurs pour lesquelles est mort Mohamed Brahmi sont la liberté, la dignité, la justice sociale… Ils sont une responsabilité sur nos épaules aujourd’hui. Nous avons évincé Ben Ali ensemble. Nous allons évincer les bandes des Frères Musulmans au pouvoir dans notre pays. Nous, nous sommes les musulmans et eux commercent avec la religion. Nous sommes les pieux et eux font du business avec la religion», dans son remarquable discours du Bardo, et précise avec ferveur: «La liberté s’arrache. Elle ne s’offre pas».
Il est incontestable que la douleur fait murir et grandir. Elle porte désormais au devant de la scène de nouveaux visages d’un quotidien qui ne rassure que parce qu’il révèle une force combative, porteuse de beaucoup d’espoirs à l’image de Balkiss Brahmi, la fille ainée de Mohamed Brahmi.
Agée de seulement 19 ans, la jeune fille prend la parole, se mobilise, fête l’aïd avec le “Sit-in“ du Bardo et admet que son père tenait à les préserver de la tourmente politique. Reste que son éducation et son évolution dans un milieu fortement engagé et politisé lui permet d’avoir sa propre grille de lecture et ose un: «Ennahdha a tué mon père. Je tiens son chef, Rached Ghannouchi, pour responsable en personne!». Elle signe ainsi, et comme tant d’autres, la probable naissance d’un leader de l’avenir.
L’histoire des peuples a toujours été jonchée de fêtes et de joies, de guerres et de morts. Les Tunisiennes qui ont compté et fait son histoire s’appelaient Elyssa, Radhia Haddad, Nfissa Amira, Aziza Othmana…
Elles s’appellent, pour cette étape-ci de l’histoire de la Tunisie, Basma Khalfaoui, Mbarka Brahmi, et tant d’autres. Il ne fait pas de doute que la Tunisie aura ses Gandhi, Bhutto.