Au
regard de son cuisant échec à la tête du ministère de l’Intérieur, les Tunisiens
n’ont accordé aucun crédit à Ali Larayedh lorsque, fraîchement nommé chef du
gouvernement, il avait déclaré que “le nouveau gouvernement sera celui de tous
les Tunisiens et Tunisiennes compte tenu du fait qu’hommes et femmes sont égaux
en droits et en devoirs”. Par contre, ils ont nourri beaucoup d’espoir dans la
nomination de personnalités indépendantes dont trois magistrats à la tête de
ministères de souveraineté, en l’occurrence Lotfi Ben Jeddou, procureur de la
République à Kasserine, à l’Intérieur; Rachid Sabbagh, ancien président du
Conseil supérieur islamique, à la Défense, Othman Jerandi, ancien diplomate de
carrière aux Affaires étrangères et Nadhir Ben Ammou, universitaire, à la
Justice.
Mais au fil des jours, ces même Tunisiens, naïfs comme ils sont et peu rodés au
machiavélisme politique des nahdhaouis, découvrent que ces ministres régaliens
n’étaient que de simples toutous aux ordres de Rached Ghannouchi et de son homme
de main, son chef du gouvernement, Ali Larayedh.
Comble du cynisme nahdhaoui, un mois après la formation du nouveau gouvernement,
Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, a déclaré, lors d’un meeting
populaire, à Tataouine, que «les nouveaux ministres régaliens sont ses alliés et
qu’ils ont reçu l’aval de son parti pour leur nomination».
«Ennahdha n’a jamais renoncé à quoi que ce soit, elle a conservé l’essentiel»,
avait martelé Ghannouchi lors de ce même meeting avant d’ajouter que «tous les
leviers du pouvoir restent entre nos mains».
Cette déclaration impudente n’avait pas été trop médiatisée à l’époque et
n’avait pas provoqué le débat public requis car tout le monde croyait que
l’adoption de la Constitution était imminente et que la tenue d’élections
générales était proche.
Revanchard et rempli de haine, Ghannouchi ne s’est pas limité aux déclarations
provocantes, il s’est employé à décrédibiliser “ses“ ministres régaliens et à
les pousser à faire en public ce qu’il leur demandait.
Le premier à en faire la douloureuse expérience a été le ministre de la Justice,
Nadhir Ben Ammou. Ce dernier a été amené à trahir sa formation de professeur de
droit en acceptant, sous son mandat, la non application de la loi dans le cas du
maintien en prison de Sami Fehri, directeur de la chaîne de télévision Ettounsia,
et ce en dépit d’une décision de justice autorisant sa libération. Le professeur
de droit a cassé un jugement de la Cour de Cassation. Du jamais vu en matière de
jurisprudence.
Ensuite, il a toléré le verdict clément, deux ans avec sursis, prononcé contre
les salafistes incendiaires du siège de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis alors
que le rappeur Wild El 15 a écopé, pour une chanson, de deux ans de prison ferme
en première instance avant d’être libéré sous la pression de la société civile.
Il a également monté de toutes pièces de nouveaux chefs d’accusation contre la
militante féministe Amina Sboui, question de la maintenir en prison le plus
longtemps possible. C’est aussi sous son mandat que les hommes de main de Ben
Ali (Abdelaziz Ben Dhia, Abdelwahab Abdallah, Abdallah Kallel et autres …) ont
été libérés alors qu’ils étaient en partie responsable de toutes les exactions
qu’avaient subies les Tunisiens sous le mandat de Ben Ali. Et la liste est loin
d’être finie. C’est pour dire in fine que ce ministre était aux ordres et bien
loin d’être indépendant.
Vient ensuite le tour du ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou. Entouré de
hauts cadres placés par les soins de l’ancien ministre nahdhaoui, Ali Larayedh,
Ben Jeddou n’a pas eu une grande marge de manœuvre pour changer quoi que ce soit
dans ce ministère. Son passage a été marqué par des ratages scandaleux tels que
les assauts manqués, à la cité El Ghezala, contre le terroriste Boubaker El
Hakim qui serait l’assassin de Mohamed Brahmi, et un autre, à Sousse, lequel a
échappé également à la police.
Même les quelques exploits accomplis par la Brigade antiterroriste (BAT) à
Ouerdia (proche banlieue de Tunis), c’est Ali Larayedh qui s’était précipité au
ministère de l’Intérieur pour les annoncer et en récolter les fruits au plan
politique. Lotfi Ben Jeddou se contentant de tenir, après l’annonce, une
conférence de presse dans laquelle il a fait assumer au mouvement Ansar Chariaa
la responsabilité des assassinats politiques. Une accusation qui a provoqué
l’ire du leader du mouvement, Abou Iyadh, de son vrai nom Seif Allah Ben Hassine.
Ce dernier a signifié au ministre de l’Intérieur qu’il avait commis une grave
erreur en impliquant Ansar Al Chariaa dans l’assassinat de Mohamed Brahmi. Abou
Iyadh est allé plus loin en le défiant de révéler le compromis qui a eu lieu
entre lui et les composantes de la Troïka pour avoir le siège de ministre de
l’Intérieur.
Pis, interrogé par un journaliste sur les raisons qui empêchent le ministère de
l’Intérieur de classer le mouvement Ansar Chariaa comme mouvement terroriste et
de prendre à son encontre les mesures nécessaires, Lotfi Ben Jeddou a répondu
que ce dossier revient au gouvernement, laissant entendre qu’il n’en fait pas
partie et que la décision ne lui revient aucunement.
Le troisième ministre régalien qui s’est distingué par son mauvais rendement
n’est autre que Othman Jerandi, ministre des Affaires étrangères. Ce ministre
n’est pas parvenu à organiser le retour des salafistes tunisiens de Syrie dont
plusieurs représentants de la société civile ont obtenu la libération auprès des
autorités syriennes. Ses maîtres nahdhaouis, dont plusieurs leaders encouragent
le djihad, l’ont dissuadé apparemment de ne pas trop s’agiter dans ce sens.
Il n’a pas su également réagir à temps et contenir les dérapages de langage de
certains proches du parti Ennahdha qui ont accusé les Algériens d’être à
l’origine du guet apens du Mont Chaambi et du massacre de 8 militaires. Une
négligence qui lui a valu des réprimandes algériennes avant d’être obligé de se
déplacer à Alger pour présenter ses excuses.
Globalement, la diplomatie tunisienne a beaucoup perdu de son efficience et a
brillé par son atonie.
Enfin, vient le ministre de la Défense nationale, Rachid Sabbagh. Ce ministre a
jeté un pavé dans la mare en révélant, en public, que l’armée est dramatiquement
sous-équipée à telle enseigne qu’elle ne dispose d’aucun hélicoptère d’attaque.
Sur sa lancée, il a déclaré que pour faire face aux terroristes de Chaambi,
l’armée a dû retirer des troupes de certains postes frontaliers pour les
affecter à la zone de combat. Sans commentaire…
Au final ces régaliens se sont avérés tout simplement des toutous aux ordres de
leurs maîtres nahdhaouis. Leur fausse indépendance et leur compromission pour
accéder à leurs postes ministériels, du moins si l’on en croit Abou Iyadh qui
est généralement bien informé, apportent de l’eau au moulin de l’opposition et
lui donne raison dans sa revendication de la dissolution du gouvernement
nahdhaoui. Car, sans cette dissolution, il existe de fortes chances pour que le
gouvernement d’Ali Larayedh fausse le jeu et falsifie les prochaines élections.