Le
Front du salut national (FSN) refuse de transiger, tout en s’attachant à son
pacifisme. La Troïka se cabre et se raidit. Et depuis peu, agite la solution
sécuritaire. L’UGTT s’interpose pour prévenir l’enlisement. Mais quelle
efficacité pour un dialogue par correspondance? Et, la vraie question est de
savoir ce que peut la volonté citoyenne contre l’appareil d’état?
La rupture est bel et bien consommée. Le Front du salut national ne démord pas.
S’il est vrai qu’il n’a pas soulevé la terre, il n’en demeure pas moins qu’il en
a déplacé le centre de gravité vers la Place du Bardo. Un tournant décisif de
l’histoire de Tunisie est en train de se dérouler, là-bas.
Face à la détermination du Front, le gouvernement s’agrippe, lui aussi, de
manière tout aussi résolue au motif d’empêcher que s’installe le vide
constitutionnel. Le choc, à l’heure où nous mettons sous presse, se profile. La
situation est inédite. Et quand la Centrale ouvrière joue les bons offices, le
terrain n’est pas déminé pour autant. Malgré une acceptation venue in extremis
-et du bout des lèvres-, de la part d’Ennahdha pour le principe de la
dissolution du gouvernement comme base de dialogue, le dénouement de la crise
politique reste difficilement prévisible. Inintelligible, la réponse d’Ennahdha
ne semble avoir entamé l’ampleur de la contestation populaire ni sa ferme
volonté de “refaire le match“ dans le sens désiré par le Front.
Mauvaise passe pour le pays
Le FSN considère que la poussée populaire qu’il soulève traduit le retournement
de majorité dans le pays. C’est assez pour concrétiser le switch vers un
gouvernement de salut national. La Troïka, après la démarcation récente d’Ettakatol,
ramenée à son noyau dur c’est-à-dire le parti Ennahdha, refuse cette solution et
s’obstine à garder le pouvoir. Et même quand elle laisse entendre, en le disant
tout en ne le disant pas tout à fait, qu’elle accepterait d’envisager de
dialoguer avec l’opposition sous le parrainage de l’UGTT, elle n’envoie pas un
signal clair qui veut dire ce qu’il veut dire.
Jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire le jeudi 22 août en fin de matinée,
l’acceptation du départ du gouvernement d’Ali Laareydh n’est exprimée de volonté
expresse, comme disent les juristes. Et pas plus tard que la veille, elle
s’accrochait à une argumentation qui ne résiste pas à la critique.
Ainsi en est-il de l’alibi du vide politique, qui n’est pas recevable car il y
aura alternance. Idem pour son appel à l’“unité nationale“ qui ne trouve pas
d’échos, tant elle a fait de la fracture confessionnelle son dada.
Par ailleurs, elle se retrouve fortement éclaboussée par les accusations qui
pèsent sur son homologue égyptienne. Morsi et les siens sont accusés d’avoir
privilégié l’intérêt de leur parti avant la patrie. Le raidissement du
gouvernement est, de ce fait, perçu comme une attitude intéressée. Et son
attachement au dialogue n’est guère mieux vu tant il apparaît comme une manœuvre
dilatoire pour absorber la colère populaire. Un faux fuyant, en somme.
Mauvaise passe pour le pays. Le bras de fer entre les deux blocs devient
imminent, faute d’un jet d’éponge de la part de l’actuel gouvernement.
FSN : “lock out“ ou putsch?
Le FSN juge qu’il peut, malgré tout, passer à l’offensive. Jusqu’à l’heure où
nous mettons sous presse, BCE n’a pas annoncé qu’il se décommande de sa
participation au démarrage, le vendredi 24 août –c’est-à-dire demain-, de la
semaine d’Errahil. Cette action prévoit de faire le siège des centres du
pouvoir, dans les régions ainsi que dans la capitale pour signifier leur congé
aux responsables désignés par Ennahdha.
Diabolisant l’initiative comme un complot, Ennahdha passe à côté. En
l’occurrence il s’agit d’un “lock out“ politique et non d’un putsch. Le maître
d’œuvre de cette ola contestataire n’entend pas occuper la place mais propose de
désigner un remplaçant indépendant et entend le faire agréer de tous.
Après cette mise en demeure, le gouvernement sait qu’il sera, ce 24 aout,
désavoué publiquement “manu pacifici“. La dynamique populaire ne semble pas
avoir baissé après l’épisode de ce jeudi midi par lequel laisserait entrevoir
que le dialogue national pourrait progresse en vue d’aboutir à une solution
négociée.
Quel pourrait être le scénario de l’évacuation du gouvernement? Et quelle
pourrait être sa riposte?
Le cheval de Troie du FSN
Une question reste sans réponse à l’heure actuelle. Pourquoi Ennahdha ne se
défausserait-elle pas de son bilan accablant sur la contestation populaire? Elle
pourrait se refaire une nouvelle santé, en se mettant en réserve du pouvoir,
serait-on tenté de penser. Après tout, elle s’est toujours plainte de ce que
l’opposition lui met les bâtons dans les roues, et voilà une occasion en or pour
se délester de ses contre-performances politiques, économiques et sociales.
Sa crispation est inexplicable. D’aucuns disent que la base électorale
nahdhaouie redoute un retour de la répression. C’est peu crédible car le
gouvernement de salut national aurait pour seul mandat de terminer la transition
en non de se lancer dans une justice d’inquisition. Si par contre on se place
dans la perspective d’un prochain round électoral, l’attitude nahdhaouie peut
faire sens. Hors le pouvoir, Ennahdha pourra difficilement reconquérir une
majorité parlementaire. Son socle électoral de base est frustré. Ennahdha n’a
pas inscrit la Chariaâ au Destour et n’a pas indemnisé les graciés de
l’amnistie. Sur son flanc électoral, son flottant de sympathisants est déçu par
l’inconsistance de son plan d’action. L’instabilité, l’insécurité, la vie chère
le détourneront vers d’autres partis. Difficile de rempiler dans ces conditions.
Dans cette hypothèse, Ennahdha serait tentée de recourir à la solution
sécuritaire. Là encore ses plans pourraient être contrariés, car le FSN s’oblige
à la non-violence, un cheval de Troie difficile à mater.
Sale pétrin car Ennahdha se trouve prise en fourchette. Hors le pouvoir, elle ne
peut revenir dans la partie. Son maintien au pouvoir pourrait malgré tout la
conduire vers la sortie vu l’état du délabrement économique et social dans
lequel elle a plongé le pays.
Douloureux dilemme! Il semble bien annoncer la faillite de l’islam politique,
dans notre pays.