éricains (Photo : Brendan Smialowski) |
[24/08/2013 09:55:26] Shanghai (AFP) L’enquête des autorités américaines sur la banque JPMorgan, soupçonnée d’avoir profité de l’embauche d’enfants d’influents responsables chinois, illustre une pratique très répandue parmi les firmes financières étrangères en Chine, désireuses de soigner leurs relations.
L’unité anticorruption de la Securities and Exchange Commission (SEC), gendarme des marchés aux Etats-Unis, a ouvert une enquête destinée à savoir si la banque d’affaires américaine n’a pas été indûment favorisée dans ses activités en Chine en raison de l’embauche d’au moins deux enfants de caciques du régime.
Pourtant, les attributions de postes à des jeunes gens aux puissantes connections familiales, “prolifèrent” dans le secteur financier en Chine, et “tout le monde est impliqué dans ce genre de pratique”, a observé Andy Xie, analyste indépendant et ancien économiste de la banque américaine Morgan Stanley.
“Tellement de gens ont du pouvoir et de l’influence que vous êtes amenés à recruter le fils de untel, la fille de untel. Cela finit par ressembler à un jeu (de stratégie) chinois”, poursuit-il.
La SEC s’intéresse notamment à l’embauche par JPMorgan du fils de Tang Shuangning, patron du conglomérat China Everbright Group – un des clients de la banque -, selon un document de l’enquête cité par le New York Times.
Contacté par l’AFP, Everbright Group s’est refusé à tout commentaire. Un cadre d’Everbright Bank, une filiale, a assuré à un média officiel que le choix de JPMorgan par le conglomérat pour préparer sa future cotation à Hong Kong avait été décidé via un processus “normal et ouvert”.
Toujours d’après le New York Times, JPMorgan aurait également engagé la fille d’un haut cadre de la compagnie nationale de chemin de fer, dont la banque a aidé l’introduction en Bourse.
Selon les experts, la question clef est de déterminer si de tels recrutements constituent une infraction à la loi fédérale punissant les pratiques de corruption des firmes américaines à l’étranger.
Or, en Chine, les frontières peuvent être poreuses entre le recrutement de la personne la plus compétente pour un poste, le choix d’un candidat en raison de ses connections familiales, et l’embauche d’une personne en contrepartie d’un accord commercial.
Les deux jeunes recrues de JPMorgan ont obtenu des postes à Hong Kong, et les documents obtenus par le New York Times ne suggèrent pas qu’elles étaient incompétentes, ni ne montrent de liens évidents entre leur embauche et d’éventuels bénéfices supplémentaires.
Cependant, ce n’est pas seulement une question de profit direct ou immédiat: “La banque d’investissement en Chine est entièrement une affaires de relations”, a insisté un ancien banquier d’affaires dans le pays, parlant à l’AFP sous couvert de l’anonymat.
“Les banques peuvent bien avoir des tas d’employés capables de calculer et d’obtenir des chiffres, mais si vous ne signez pas de contrat alors les calculs ne vous servent pas à grand chose”, a-t-il ajouté.
“C’est tellement plus facile de recruter des personnes avec les bonnes connections” susceptibles de faciliter des négociations au moment opportun, a-t-il conclu.
C’est d’ailleurs au grand jour que certaines grandes banques ont accueilli des enfants des plus hauts responsables politiques du régime.
Ainsi, Margaret Ren, belle-fille de l’ancien Premier ministre et secrétaire du Parti communiste Zhao Ziyang, travaille aujourd’hui à Bank of America Merrill Lynch, après une carrière dans divers établissements financiers.
Alvin Jiang, petit-fils de l’ancien président Jiang Zemin, a quant à lui travaillé pour Goldman Sachs avant de rejoindre la firme d’investissement Boyu Capital.
Mais l’ouverture de cette enquête contre JPMorgan pourrait entraîner un début de remise en question, selon certains professionnels du secteur.
“Des pratiques qui avaient été acceptées ou tolérées vont maintenant faire l’objet d’un contrôle accru”, a observé Simon Lance, directeur régional pour la Chine de la société international de recrutement Hays.
Echaudées, “les entreprises en général vont réévaluer les risques associés” avec leur façon de conduire leurs activités, a-t-il ajouté, pointant que ce type de recrutement n’est pas limité au secteur financier.
Le groupe pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK), actuellement sous le coup d’une grande enquête pour corruption en Chine, avait précédemment employé la fille de l’ancien secrétaire du Parti Hu Yaobang.
De même, la fille de l’ancien ministre des Finances Xiang Huaicheng travaille pour le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers, selon un document transmis aux autorités de régulation.
L’affaire a déclenché des réactions au vitriol sur les réseaux sociaux chinois, prompts à dénoncer les privilèges des enfants d’apparatchik au détriment des jeunes talents sans relations.
“JPMorgan n’a pas de chance d’être le seul à se faire prendre”, a commenté l’auteur d’un microblog sur Weibo, rappelant que c’est “une tactique habituelle des banques” mais aussi “des entreprises d’Etat chinoises”.
De fait, “si on commence à enquêter sur chaque cadre moyen en Chine continentale, il faut s’attendre à de stupéfiantes révélations”, a grincé un autre internaute.