Pourquoi Chedly Ayari refuse-t-il de dévoiler la vérité sur l’économie tunisienne?

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Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie n’a pas hésité à faire part de ses appréhensions au secrétaire général de l’UGTT, appelant celui-ci à trouver rapidement une sortie de crise pour limiter les risques sur l’économie nationale, fragilisée par l’instabilité politique, sécuritaire et sociale.

Pourtant, lors d’une interview accordée à «United Press» au mois d’août, il n’avait pas hésité à traiter les propos rapportés à propos des risques encourus par l’économie d’«exagérés et irresponsables, colportés par des personnes sans réelles compétences dans le domaine et qui veulent juste semer la zizanie». Lequel de ces discours croire?

D’aucuns disent que le gouverneur hésite à s’exprimer publiquement à propos de la situation réelle de l’économie parce qu’on lui aurait promis le poste de Premier ministre dans un gouvernement hypothétique de compétences nationales. Une promesse, elle-même hypothétique, parce qu’Ali Larayedh, appuyé par la Troïka, n’est pas prêt à sortir de la scène du pouvoir, et parce qu’il y aurait très peu de chances que ce soit Chedly Ayari qui occupe le poste de chef du gouvernement au cas où… estiment les observateurs politiques.

La Tunisie risque la faillite, on n’arrête pas de le dire mais pas pour tout de suite, rassurez-vous, enfin… si vous le pouvez… Même si d’après les experts économiques, les chiffres actuels font froid dans le dos: «Les plus importants sont le déficit budgétaire de 9 à 10% en 2013 contre 1,1% en 2010. Le déficit des paiements courants aujourd’hui de 8% contre 4,5% en 2010. La dette publique est de 50% contre 40% en 2010. Une situation qui frôle la catastrophe et que le pays n’a même pas vécu en 1986».

Ce qui est un petit peu réconfortant est que les réserves en devises héritées du passé permettent encore de payer la dette. Le risque est qu’au premier incident de paiement, c’est-à-dire que dès qu’une échéance de remboursement de crédit extérieur n’est pas honorée, les autres échéances deviennent exigibles et c’est la faillite. D’ailleurs, les prêteurs potentiels commencent à devenir plus prudents y compris «les amis des pays du Golfe», et les pouvoirs publics sont dans l’incapacité de garantir l’approvisionnement des caisses de l’Etat dans l’état actuel des choses. Pour l’instant, la Tunisie est en sursis mais le risque de la banqueroute reste persistant si le pays ne sort pas rapidement de l’ornière politique dans laquelle il se débat et si la dynamique économique ne reprend pas avec en prime la confiance des opérateurs privés domestiques et internationaux et la reprise des investissements privés, mais surtout la mise en marche des investissements publics budgétisés pour les années 2012 et 2013.

La Tunisie recule de 5 places sur le Doing Business 2013

La Tunisie était classée, en 2012, 45ème dans la région Mena, en 2013, elle a reculé de 5 places. Tous les voyants sont au rouge. Les indicateurs économiques semblent tous avoir régressé, à commencer par l’indice de création des entreprises qui affiche une baisse de 12% (66ème), la protection des investisseurs a baissé de 3% (49ème), l’octroi de permis de construction est à -6% (93ème), le raccordement en électricité à -3% (51ème), le transfert de propriété à -6%, l’obtention des prêts à -7% (104ème!), le paiement des impôts à -2% (62ème) et ce malgré toutes les tentatives d’incitation et les avertissements du ministère des Finances pour sensibiliser les particuliers et les professionnels à s’acquitter de leurs impôts. Le seul chiffre «positif» dans ce sombre tableau est celui du commerce transfrontalier qui a augmenté de 1%.

Le rapport Doing Business, réputé crédible, n’est pas en faveur des politiques économiques entreprises par le gouvernement nahdhaoui à ce jour. (Lire ici le rapport).

Les fondamentaux économiques de la Tunisie sont de plus en plus ébranlés, et face à un déséquilibre notoire de la balance commerciale, le dinar continue sa chute, soit 10% en seulement une année, aux dires d’expert. L’Etat est dans l’obligation de mobiliser des ressources financières de près de 9,6 milliards de dinars dont près de 5 milliards en devises. Le pourrait-il?

Pour l’UTICA, qui avait récemment fait le point sur la situation économique du pays, l’essentiel des ressources potentiellement mobilisables (que ce soit auprès de la BM, la BAD, le FMI et les Sukuks) est loin d’être acquis et pose différents problèmes, liés à la non réalisation des réformes convenues. Ceci, sans oublier les nombreuses dégradations de la notation souveraine de la Tunisie et qui rendent presque impossible le recours au marché international pour contracter des prêts. Ajouté à cela comme cité plus haut un recul de la Tunisie de 5 places sur Doing Business, ce qui risque fort de fragiliser encore plus son image à l’international.

Pour le patronat tunisien, aussi bien le financement du budget de l’Etat que les réserves de change risquent d’être problématiques sur les prochaines semaines si des solutions appropriées ne sont pas rapidement trouvées.

Rappelons à ce propos que les dépenses publiques ont augmenté en l’espace de 3 ans de plus de 43%. Les raisons peuvent être aussi bien la titularisation des milliers de contractuels, le recrutement de milliers d’autres dans la fonction publique que le nombre excessif des ministres conseillers avec rangs de ministres et tout ce qui s’en suit comme avantages, de ministres démissionnaires qui auraient gardé tous leurs privilèges ou encore les dédommagements accordés aux amnistiés dans le secret et la discrétion totale…

La Banque mondiale, auparavant «amie de la Tunisie», a rappelé au gouvernement tunisien que «les vastes programmes de relance approuvés dans le collectif budgétaire de 2012 n’ont été exécutés qu’en partie (certains économistes prétendent qu’ils ont été à hauteur de 22% seulement sur tout le territoire national) et la composition des dépenses effectives a été révisée en opérant un glissement de l’investissement vers la consommation. Le déficit budgétaire (hors dons et privatisations, mais y compris les recettes provenant de la vente des biens confisqués) s’est élevé à 5,1% du PIB en 2012.

Conséquences de la détérioration de la structure des dépenses publiques: «l’accroissement des dépenses consacrées aux salaires et aux subventions sur les denrées alimentaires et les produits pétroliers (même si le gouvernement a augmenté les prix des produits pétroliers au niveau national de 8% en septembre 2012)». Mais l’augmentation des salaires n’accompagne malheureusement pas la hausse du coût de la vie. Les prix des produits alimentaires non subventionnés ont augmenté de 9,6% et ceux des produits subventionnés de 8,4%.

Au bout de trois années d’une prétendue «révolution» du Jasmin et d’un printemps sans senteurs et sans arômes, les raisons purement révolutionnaires ne peuvent expliquer à elles seules les différents échecs des gouvernements successifs depuis le 14 janvier. Et même si celui de Béji Caïd Essebsi peut se prévaloir d’une illégitimité qui ne lui permettait pas de prendre les bonnes décisions, il en avait pris, et pas des mauvaises… ceux d’Ennahdha «excessivement légitimes» n’ont pas le droit de justifier leur incapacité à gérer les affaires sécuritaires, politiques et socioéconomiques, et de mener le pays vers la rive du salut par un contexte révolutionnaire bel et bien révolu depuis un bon bout de temps.