Au moment où l’UTICA attend une stimulation du climat des affaires, de la stabilité et de la visibilité, le gouvernement campe sur une position d’autodéfense. Le différend culmine sur la vision de l’avenir. Le patronat considère que les investisseurs étrangers commencent à se détourner de la Tunisie et regardent ailleurs. Danger!
C’est une polémique de trop, qui s’installe entre le gouvernement et l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA). Elle vient rajouter de la crise à la crise. Ce n’est pas ce qui pouvait arriver de mieux pour le pays.
Il est vrai que l’organisation patronale s’est rangée du côté de l’initiative de l’UGTT appelant à la démission du gouvernement et le recours à un gouvernement de compétences. Le gouvernement voit cet alignement du mauvais œil et rappelle la Centrale, organisation apolitique, à la réserve.
Le ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé des Dossier économiques, est même monté au filet lors d’une conférence de presse tenue le 30 août pour “égratigner“ l’UTICA et la rappeler à adosser ses évaluations économiques sur les statistiques officielles de l’INS (Institut national de la statistique). La brouille est à son comble. Et, l’UTICA n’en démord pas. Elle se donne voix au chapitre. Après tout, disent certains de ses représentants, le monopole de production des statistiques ne signifie pas l’accès exclusif à la réalité économique. Ce sont les chefs d’entreprise qui vont au charbon. Ils sont en permanence sur terrain, dans les salons professionnels et en contact avec leurs homologues étrangers. Ils savent de quoi il retourne en matière d’investissement et d’exportation, ce qui donne de la pertinence à leurs prévisions sur la croissance.
Ils attirent l’attention sur une menace lourde, à savoir le déficit d’image. L’environnement national manque de stabilité politique, et la paix sociale est perturbée. Ajouter que l’horizon économique manque de visibilité. En soi, ce constat n’a rien de bien explosif, parce que c’est la réalité.
Cependant, le gouvernement ne l’entend pas de cette oreille et considère que ses performances économiques se défendent d’elles-mêmes, et rappelle, avec un certain aplomb, que les motifs invoqués par les agences de notation qui nous ont dégradés sont dans leur quasi majorité d’ordre politique.
Mais quel est donc le fond du problème?
L’exploration des chiffres, en profondeur
A l’UTICA, on se livre à une lecture exploratrice des statistiques de l’INS sans les contester. Il est vrai que le pays a réalisé 3% de croissance en taux annualisé, dit-on. Mais 1 point de croissance, c’est-à-dire le tiers du taux qui a été accompli, provient des activités non marchandes, c’est-à-dire de la fonction publique.
Par ailleurs, il est vrai que les exportations en chiffres nominaux ont augmenté de 6,4% durant les 7 premiers mois de 2013. Toutefois, il faut savoir que les secteurs phares que sont le textile-habillement et les IME, qui constituent 70% de nos ventes, n’ont augmenté que de 5%, rappelle-t-on. Et de préciser que si on défalque ce chiffre du taux de dépréciation du dinar, on tomberait sur un taux négatif.
D’un autre côté, la TVA a baissé de 1%. Cela inquiète également l’UTICA, car cela signifie que la consommation interne, moteur non négligeable de la croissance, s’est orientée vers l’informel, pénalisant le secteur organisé.
Pour leur part, les IDE ont baissé de 3,3%. Ce qu’il faut savoir, c’est que les investissements dans l’industrie et les services, secteurs créateurs d’emplois, ont baissé de 14%.
C’est donc cette lecture critique des statistiques qui dérange le gouvernement car elle met à nu des fragilités restées cachées.
Les observations des responsables au sein de l’UTICA vont bien au-delà. La fluidité logistique dans notre pays est très gênante en comparaison de ce qui se fait sur la rive nord ou dans la région, au Maroc à titre d’exemple. Les formalités douanières prendraient, semble-t-il, 7 jours chez nous, 1 jour au Maroc et à peine 7 minutes à Marseille; le chargement-débarquement durerait 4 jours chez nous contre 4 heures au Maroc.
Force est de constater, selon les évaluations de l’UTICA, que l’on ne part pas dans la compétition internationale avec les faveurs des pronostics. Cela ne fait pas du site national un site particulièrement attractif. Ce qui plombe encore le tableau est que le code des investissements ne fait pas basculer la situation en matière d’avantages comparatifs.
Selon les dirigeants de l’UTICA, les subventions d’investissement culmineraient à 2 millions de dinars contre 6 au Maroc. De surcroît, la réforme fiscale prévoit de taxer les entreprises totalement exportatrices à 10% dès janvier 2014 alors qu’elles restent exonérées sur cinq ans au Maroc.
Au total, cela plombe le programme du gouvernement, et on comprend qu’il y ait des étincelles de part et d’autre.
Au résumé, selon la lecture objective de l’UTICA, l’environnement d’affaires dans le pays manque de tonicité. Cela ne le prédispose pas à de meilleures performances. La messe est dite.
A la recherche d’un nouveau modèle économique?
On a bien dit que le pays est à la recherche d’un modèle économique nouveau. On a bien précisé que ce modèle se réalisera par des investissements de haute valeur ajoutée. Le pays possède six technopoles. Au moins cinq sont opérationnelles ou en voie de l’être. Les pays développés investissent dans leurs pôles de compétitivité. C’est donc là qu’il faut y aller. Ainsi en est-il d’El Ghazala, avec une vocation IT, de Sousse -qui est dédiée aux IME et principalement les intrants automobiles-, de Bizerte -pour l’agro-industrie-, de Monastir El Fejja -pour le textile- et de Sidi Thabet -pour les bio-technologies. Le sixième serait à Sfax -pour l’informatique et n’est pas encore opérationnel.
Avec un parterre aussi riche et varié, on doit pouvoir négocier des partenariats à haute valeur ajoutée La croissance de demain se fera sur ces espaces-là et par conséquent, il convient d’aller chercher la croissance là où elle se trouve.
Au final, les propos de l’UTICA ne sont ni irrévérencieux ni tendancieux mais poncifs car ils rappellent que la croissance ne sera pas aussi vigoureuse que l’espère le gouvernement. Nous resterons plus proches du palier de 3% que de 7% -celui de la délivrance. L’ennui est que l’UTICA ajoute que les donneurs d’ordre et les investisseurs commencent à donner la consigne de ralentir les flux sur la Tunisie. Cela signifie que le plan de charges des usines pourrait baisser du fait de l’allégement des carnets de commande. Et, qui plus est les flux d’investissement pourraient être aiguillés vers d’autres destinations.
Gros temps sur la croissance économique. On comprend que, sous cet angle, l’audit de l’UTICA dérange le gouvernement. .