Dans le collimateur, l’UCCV accuse le gouvernement d’œuvrer contre les intérêts économiques de la Tunisie

vignerons-uccv-carthage.jpgLorsque, réjoui, il déclare que l’UCCV «est» sortie de l’enfer des banques après avoir «bouffé son capital par deux fois», Ridha Ben Aziza, vice-président du Conseil d’Administration des «Vignerons de Carthage» est loin de se douter qu’elle allait plonger dans celui de l’enfer de la politique. L’entreprise est dans le collimateur du ministre de l’Agriculture, Mohamed Ben Salem, qui a évoqué plusieurs dossiers de corruption et de mauvaise gestion.

Enquête sur le pourquoi d’une mise en grippe alors que la société ne s’est jamais aussi bien portée.

Créée en 1948 avec un capital de 4.295.300 dt, l’UCCV est composée de 9 sociétés mutuelles de base qui regroupent 1.500 viticulteurs et produisent en vrac 155.000 hectolitres de vin (récolte 2012).

Après une mise en place d’un programme de restructuration et de mise à niveau, l’entreprise reprend du galon, réajuste en une dizaine d’années le prix du raisin le faisant passer de 0,384D/le kilogramme en achat auprès du viticulteur à 0,942 en 2012.

A ce jour, les dettes antérieures à 2002, s’élevant à près de 41 millions de dinars, ont été réglées, et l’UCCV rend tout aussi «heureux» ceux qui y travaillent que ceux qui boivent son nectar qui monte en gamme et en notoriété. L’Etat est aussi sûrement bien satisfait, d’autant plus qu’il empoche plus de 23 millions de dinars de taxes -rien que pour l’exercice passé.

L’histoire de cette entreprise semble alors sortir d’un conte de fées sauf que le grand méchant dans l’histoire semble être, au lendemain du 23 octobre, son propre ministère de tutelle.

Au lendemain de l’arrivée au pouvoir de la Troïka, une guerre est déclarée contre l’entreprise, et le ministre de l’Agriculture dégaine avec l’annonce de la dissolution du Conseil d’administration, le limogeage du directeur général, des accusations de corruption et de mauvaise gestion. Des accusations qui, du côté de la justice, ont donné des non lieux.

Cernée et diabolisée, l’UCCV se sent alors forcée de rétorquer. Le litige qui l’oppose au gouvernement l’oblige à faire appel au tribunal administratif pour protéger ses intérêts. Patrons et employés, actionnaires, UGTT et UTICA font alors un front commun contre l’ingérence et l’attitude «hors-la-loi» du ministère de tutelle.

Ils ont organisé la semaine écoulée une conférence de presse pour dénoncer, via le vice-président de l’UCCV et une brochette d’avocats, «une volonté de massacrer l’UCCV, en dénigrant et isolant l’entreprise de son milieu, on veut la discréditer. Pourquoi s’acharne-t-on sur nous alors que nous sommes l’une des rares entreprises qui paye ses factures de CNSS, de STEG, ses crédits avec la banque? Nous sommes l’une des rares entreprises qui se porte bien. N’y a-t-il pas d’autres urgences au ministère de l’Agriculture?»

Mieux encore, c’est au tour de l’UCCV d’accuser le gouvernement de se jouer des intérêts économiques de la Tunisie. «L’urgence est ailleurs et le gouvernement affiche de l’incompétence, de l’arrogance et de l’entêtement. Nous sommes solidaires avec nos employés et clamons haut et fort que le pays a besoin d’audace et non de petites calculs d’épiciers», rajoute le représentant de l’UTICA.

Le secteur fait vivre 5.000 familles et une grande partie des secteurs hôteliers, touristiques et des loisirs. Derrière l’UCCV, il y a la SOTUVER avec ses 18 millions de bouteilles, et des entreprises qui fournissent les bouchons (18 millions), les engrais, les capsules, les étiquettes (20 millions d’unité…).

Pire, du côté de l’UCCV, on estime que ces déclarations tous azimuts du ministre de l’Agriculture, Mohamed Ben Salem, sont dangereuses et irresponsables. Elles servent à intimider les banques pour ne pas financer la campagne viticole qui commence, et plombent l’Etat de rentrées d’argent précieuses à l’heure où l’argent se fait rare et coûte cher.

Que se passera-t-il si le Conseil est dissous?

L’affaire est devant le tribunal administratif et si cela venait à arriver, le Conseil d’administration serait alors remplacé par un administrateur public. D’où la catastrophe. Car pour les professionnels, il ne fait aucun doute que les administratifs ne connaissent rien au métier. Qui osera prendre des risques et des décisions pour garantir la survie et la rentabilité de l’entreprise? Qui osera s’engager autant que ses propres actionnaires pour ne pas voir des années d’efforts partir en fumée?

Au cours de la conférence de presse, la passion est montée d’un cran et les débats se sont enflammés. Tous se disent prêts à tout pour sauver leur entreprise et leurs intérêts.

Survinrent alors quelques questions que soulève fort lucidement le représentant de l‘UGTT: «Qui veut casser l’UCCV? Je ne m’interroge pas sur l’absence du rajeunissement du cheptel du raisin de cuve face à un secteur qui a du mal à répondre à une demande locale croissante et à un marché international en hausse. Je ne m’interroge pas sur les taxes qui ont été doublées, triplées voire quadruplées en un temps record. Bien loin des raisons idéologiques, je me pose une question et une seule: Qui est derrière la fragilisation d’une entreprise rentable et qui fait miroiter beaucoup de bénéfices à celui ou ceux qui la prendraient si elle venait à l’accaparer ou couler?»

Une question à laquelle nous promettons de répondre, prochainement.

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