Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que les choses sont difficiles. (Sénèque) <
Dans le contexte actuel de notre pays, où le débat public se polarise totalement autour de la place qu’il faut donner à l’Islam dans la politique, il est impératif de recentrer rapidement notre débat sur les questions économiques et sociales. Hélas, ni l’emploi, ni les inégalités régionales, ni le coût de la vie, ni l’augmentation de la pauvreté… qui ont été à la base de notre révolution, ne sont encore au centre des débats sur nos plateaux de télévision, ni dans nos médias en général. Et pour cause, ils ne sont pas pris en compte de façon sérieuse ni par le gouvernement ni par les autres décideurs potentiels du pays, en raison des élections nationales imminentes.
D’ores et déjà, la crise politique grave que vit notre pays après la révolution a affecté négativement l’économie nationale. Suite aux troubles politiques, sécuritaires et sociales qui se relayaient depuis le début de 2011, notre économie stagnait.
Idem, la balance commerciale continue à se détériorer et le dinar est désormais soumis à des pressions vigoureuses à la baisse. L’inflation continue son chemin dévastateur sur notre pouvoir d’achat. Seule la finalisation d’accords de crédits avec le Fonds monétaire international et avec des pays frères et amis nous livre un certain optimisme.
Malheureusement, les gouvernements successifs après la révolution ont été tous incapables de concevoir et proposer un Plan de redressement économique et social crédible de notre pays. On a eu seulement droit à des replâtrages occasionnels. Au lieu de favoriser l’investissement public comme moteur de croissance, on continue à recruter dans une administration publique déjà surchargée, tout en augmentant les traitements et salaires y afférents, favorisant ainsi la consommation publique et, à travers les subventions démesurées, la consommation privée.
Résultat: l’appareil productif du pays se trouve freiné alors que le pays s’engage de plus en plus dans un endettement extérieur continu.
Le secteur bancaire, qui souffre des crédits malsains accumulés pendant des décennies, ne doit sa survie qu’aux injections massives (plus de 5 milliards de dinars) de la Banque centrale. Idem, nos banques continuent à distribuer des dividendes au lieu d’augmenter leurs provisions contre les crédits irrécouvrables et leurs ressources propres.
Devant la possibilité de ne plus pouvoir rembourser ses dettes (d’où la toute récente notation «B» de Standards and Poor’s), la Tunisie peut encourir le risque de la faillite économique. Ce qui est sûr, c’est que le redressement de notre économie est tributaire d’un rapide consensus politique général et du lancement prochain de grands chantiers économiques pour éviter l’effondrement de notre économie.
Parallèlement, il faut redonner à notre économie son dynamisme et ses capacités exportatrices. Pour ce faire, la sécurité des biens et des personnes est fondamentale. Idem, un nouveau Code des investissements doit être adopté. Et puis, la réforme fiscale doit être également mise en place. La Caisse de compensation doit progressivement être remplacée par des transferts ciblés en cash. Enfin, la réforme de notre système bancaire ne doit plus tarder.
Bref, si l’on continue à ne rien faire, on risque fort de voir notre économie s’effondrer.
Espérons seulement que la crise actuelle permettra d’ouvrir les yeux de la classe politique sur les enjeux vitaux de notre pays. Deux ans et demi après notre révolution, il est temps que notre crise économique s’arrête de s’amplifier et de nous menacer sérieusement.
L’économie «des bas salaires» est révolue!
Depuis les années 70, la Tunisie a choisi de suivre le modèle libéral qui se base sur sa main-d’œuvre non qualifiée et mal rémunérée. Le résultat, c’est que le secteur productif utilise jusqu’à maintenant cette main-d’œuvre alors que notre système éducatif génère de plus en plus de diplômés qualifiés du supérieur [environ 80.000 par an, au moment où le nombre des chômeurs est évalué à 800.000], et c’est pourquoi on assiste aujourd’hui à une montée exponentielle du taux de chômage, surtout parmi les jeunes diplômés.
En effet, notre révolution a été le résultat de l’échec de ce modèle de développement qui y a généré, partout dans le pays, pauvreté et marginalisation sociale.
En analysant les mesures annoncées par le gouvernement actuel, on ne voit pas de volonté de repenser ce modèle économique. Pour créer 20.000 emplois par an dans le secteur privé, on compte toujours sur les incitations fiscales et les exonérations des charges. Or, depuis 1972, on applique les mêmes mesures, et malgré cela, seulement 17% des investissements du privé se sont orientés vers les régions de l’intérieur. Donc les avantages accordés par l’Etat ne suffisent pas.
Hélas, depuis 23 ans, le taux de croissance n’a pu être maintenu que grâce à un dumping dans les domaines social, fiscal, financier, écologique… Cette politique ne peut plus continuer, elle est épuisante autant pour les citoyens que pour l’Etat.
Au-delà de son rôle dans l’élaboration d’une politique économique, l’Etat doit améliorer les infrastructures dans les régions, préserver les ressources naturelles, lutter contre la pollution, créer des zones vertes et orienter l’économie vers l’innovation.
Idem, il faut impliquer davantage le système bancaire dans le financement du développement durable. Jusqu’à présent, ce secteur n’a joué qu’un rôle intermédiaire, sans prendre aucun risque; ce qui a engendré un endettement excessif du pays et de ses institutions financières.
Raison pour laquelle, le rôle d’un Etat moderne, en tant qu’agent régulateur, incitateur, animateur, stratège et jouant la fonction d’arbitre, est absolument nécessaire. En d’autres termes, l’Etat ne doit pas outrepasser sa mission et ses prérogatives en devenant partie prenante dans le processus de production économique. En effet, un Etat omniprésent et trop interventionniste nuit forcément au développement économique et n’est pas la meilleure voie pour la prospérité sociale du pays.
Bref, notre pays n’est pas condamné à se développer en s’appuyant sur les «bas salaires». Nous devons repenser notre position sur le plan international en construisant des avantages comparatifs dynamiques: une main-d’œuvre qualifiée, des spécialisations à haute valeur ajoutée, un appareil productif diversifié à partir des pôles de compétences (à titre d’exemple autour des TIC, de l’électromécanique, de l’industrie pharmaceutique…).
Pour remédier à notre crise économique actuelle, il faut alléger les charges de l’Etat, éviter les grèves, réhabiliter le travail et combattre l’indiscipline, l’anarchie et le laisser-aller…
L’espoir de sortir de ce marasme réside au fait que nous pourrions retrouver bientôt une Tunisie qui travaille dans la sérénité et la sécurité. Ceci dit, il va falloir trouver aussi un moyen efficace pour intégrer le travail informel ou parallèle au tissu économique formel du pays.
Grâce à ce nouveau modèle de développement, l’on peut éviter le creusement des inégalités entre nos régions, la montée du chômage, le désengagement de l’Etat dans des dépenses à caractère social et l’épuisement de nos ressources naturelles…
Toutefois, il va sans dire que cela doit être complété par des politiques publiques sectorielles cohérentes, intégrées et bien ciblées ainsi que des réformes profondes qui touchent tous les domaines d’intervention de l’Etat.
Exporter pour créer davantage de richesses et d’emplois
Concernant nos exportations, il importe de tenir compte du positionnement de notre pays, tant en termes de compétitivité prix (coût) que de compétitivité (qualité, différenciation des produits, innovation technologique, traçabilité, délais de livraison, flexibilité et réactivité).
La Tunisie tente depuis quelques années de s’imposer comme un espace de délocalisation industrielle du marché européen. Quatre secteurs d’activité se distinguent: les TIC, le textile, la mécanique-automobile et l’aéronautique. Mais on doit regarder de plus près d’autres secteurs porteurs et d’avenir (tels que les services médicaux internationaux, les activités logistiques…) et améliorer les activités de transport maritime en modernisant davantage nos ports et le transport ferroviaire qui sont restés le parent pauvre de notre stratégie de transport.
L’enjeu consiste à rendre le site Tunisie plus attractif pour les IDE en améliorant les conditions d’implantation et des infrastructures industrielles, technologiques et de services à haute valeur ajoutée.
D’autre part, nos exportations doivent évoluer dans deux directions nouvelles. La première consiste à diversifier davantage nos exportations dans des secteurs où la demande mondiale s’accroît encore et où nous disposons d’avantages comparatifs et compétitifs existants ou en mesure de l’être. La deuxième orientation se traduit par la recherche de nouveaux marchés comme par exemple les pays africains; ce qui nous permettra de gagner une certaine indépendance vis-à-vis du marché traditionnel européen.
L’Union européenne, notre allié historique et géographique!
Jusqu’à maintenant, l’Europe a traité les pays de la rive sud comme une périphérie ou un arrière-pays qui offre des richesses naturelles, un marché et une main-d’œuvre variée pour compléter des spécialités qui manquent en Europe. Malheureusement, ce que propose l’Europe ce n’est plus une aide, ce sont désormais des crédits. Or, après la révolution, les créanciers européens de notre pays devraient plutôt suspendre le remboursement des intérêts de la dette afin que nous puissions consacrer cet argent à des projets de développement régional.
Ce qui est sûr, c’est que le partenariat tuniso-européen stimule notre économie en l’obligeant à devenir plus réactive et plus innovante et permettre le transfert technologique, booster nos exportations et contribuer à la création d’emplois. Ceci dit, nous constatons, avec regret, que nous importons beaucoup de produits superflus qui envahissent nos marchés et alimentent surtout le secteur informel; des produits souvent contrefaits qui traversent nos frontières de manière illicite. Il faut lutter contre ce fléau qui porte préjudice à notre économie et accentue le déficit de notre balance commerciale.
Une réflexion sérieuse doit être menée autour de ces questions dans le but de lutter contre cette importation anarchique; ce qui permettra d’équilibrer notre balance commerciale avec l’Europe et assainir notre marché intérieur.
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