«Si vous allez dans la même direction que moi, je vous embarque, sinon, laissez tomber», ce à quoi une dame rétorque «est-il normal que vous imposiez à vos passagers la direction à prendre, vous êtes un taximan, votre boulot est de les mener là où ils veulent aller, Non?». Réponse : «Madame, où voyez-vous des gens qui font ce qu’ils doivent faire dans ce pays? Vous allez chez un vendeur de légumes et il vous impose d’acheter des tomates si vous voulez acheter du piment, chez l’épicier on vous somme d’acheter du yaourt avec le lait, les prix affichés dans tous les commerces ne sont presque jamais ceux dont nous entendons parler dans les radios, personne ne respecte le code de la route, vous allez dans une municipalité, dans une recette des finances et vous êtes en face de fonctionnaires qui font la loi et vous traite en moins que rien et cerise sur le gâteau un gouvernement qui fait ce qu’il veut, décrète à sa guise et une opposition qui n’assure pas. Et dans tout ça, vous voulez que nous, chauffeurs de taxi, soyons les seuls à nous plier aux règles, non mais vous rêvez!». …
Y-a-t-il exemple plus éloquent pour décrire la déliquescence de l’Etat tunisien? Tout laisse penser qu’en Tunisie il n’y a plus d’Etat, c’est à peine si l’on en voit l’illustration à travers la présence des véhicules de police, ou des drapeaux hissés çà et là.
Et encore, le taximan n’a parlé ni des villes et des cités poubelles ni de la démission totale des pouvoirs municipaux et encore moins des mesures qui se suivent mais ne se ressemblent pas, prises par le gouvernement à la-va-vite ne s’adossant pas à des études sérieuses, et incapable de répondre aux exigences d’une économie fragilisée et vulnérable.
Parmi elles, deux prises récemment, celle de la régularisation de la situation des amnistiés dans les établissements publics et celle relative à l’imposition des entreprises offshore.
700.000 fonctionnaires en Tunisie, dont des dizaines de milliers recrutés ces derniers mois et parmi eux, ceux qui ont bénéficié de l’amnistie générale qui comprendrait entre autres «des terroristes» et des prisonniers de droit commun. Alors que le pays risque la faillite, que la première esquisse du Budget 2014 reste jusque là top secret, les préoccupations du chef du gouvernement se tournent vers…tenez-vous bien la régularisation des situations des amnistiés recrutés et la reconstitution de leurs carrières.
Ainsi, ces personnes qui ont bénéficié d’un recrutement direct profiteront également de toutes les promotions et les avantages de leurs confrères qui ont passé des concours et qui sont, par force expérience et dans le respect de la loi, passés d’un échelon à un autre.
Le chef du gouvernement a même pensé à la constitution d’une petite commission pour examiner les dossiers qui n’ont pas été déposés dans les délais et ceux encore en cours d’examen. Mieux encore, il mobilisera les «DAFFEURS» (Directeurs administratifs et financiers) pour résoudre dans les plus brefs délais les problèmes relatifs à la reconstitution des carrières.
Les questions qui se posent à ce propos sont: comment a-t-on fait pour payer ces nouvelles recrues si elles n’ont pas été introduites dans le système informatique? Combien d’amnistiés ont été recrutés par l’Etat et à quelles conditions? Quel est le budget qui leur a été alloué et aux dépens de quoi? A-t-on usé de crédits pour assurer leurs salaires?
Une décision prématurée dans l’état actuel des choses : l’imposition des entreprises offshore
Le chef du gouvernement, qui veut renforcer les revenus de l’Etat, a également pensé à user d’une disposition d’ores et déjà prévue par le code d’investissement et qui consiste à taxer les entreprises offshore à hauteur de 10% et à réduire les impôts des entreprises onshore de 30 à 25%.
Le but est, justifie le communiqué du Premier ministère: «renforcer les capacités compétitives des entreprises et rapprocher le gap entre celles exportatrices et importatrices». Cette décision sera accompagnée de mesures visant la récupération du manque à gagner en augmentant les impôts ordinaires et en soumettant, comme précisé plus haut, non seulement les entreprises offshore aux taxes mais également les bénéfices des entreprises auparavant exonérés dès lors qu’ils sont réinvestis.
Les seules exceptions restent bien entendu les investissements dans les régions intérieures du pays. «L’UTICA encourage l’abaissement des impôts sur les entreprises domestiques mais n’approuve pas l’imposition des bénéfices destinés au réinvestissement ou celle des sociétés offshore, d’autant plus qu’on veut l’appliquer à partir de 2014. Pareilles mesures dans la situation actuelle du pays sont contraires à l’incitation à l’investissement. Au Maroc, les entreprises exportatrices sont exonérées pour une durée de 5 années. Nous étions, pour notre part, un site assez attractif, ce qui ne l’est plus pour le moment. La moindre mesure décourageante pour les investisseurs porterait un tort considérable à notre économie», a indiqué Hichem Elloumi, vice-président de la Centrale patronale.
Pour les observateurs de la scène économique tunisienne, «il y aurait lieu de se poser la question de l’opportunité de la décision à un moment où le pays souffre de doutes de la part des investisseurs sur l’avenir politique incertain: ceci ajouté à cela va créer un vrai handicap sur l’attraction du site Tunisie sans oublier les tracasseries administratives qu’infligera cette imposition aux entreprises exportatrices en plus de la problématique contrôle qu’elles vont subir et des risques de les entraîner dans des pratiques de corruption que nous avions évité jusque là.
L’autre question qu’on peut se poser est: quel est le rendement fiscal d’une telle mesure, autrement dit quelles sont les rentrées d’impôts attendues d’une telle mesure? 200 millions de dinars à tout casser à rapporter au budget de l’Etat et nous risquons de perdre des parts de marché. Combien d’entreprises risquent de quitter la Tunisie à cause de cette mesure qui fera déborder le verre de l’exaspération et du doute des investisseurs notamment étrangers? Nous pouvons admettre qu’on puisse tenter des essais hasardeux et risqués pendant les périodes d’aisance mais personne n’a le droit de jouer avec l’avenir d’un pays qui traverse une passe très difficile».
Voilà, tout est dit… .