Amiens (Photo : Denis Charlet) |
[20/09/2013 09:14:45] Paris (AFP) Intimidations et violences, souffrance de salariés dés?uvrés dans une usine vidée de sa substance, interminable bras de fer judiciaire avec la direction: une commission d’enquête parlementaires tente de démêler l’écheveau d’une bataille vieille de six ans à l’usine d’Amiens-Nord de Goodyear, promise à la fermeture.
Les responsabilités évoquées sont multiples: crise, fragilité d’une entreprise trop endettée qui a pourtant doublé ses bénéfices en 2013, mépris du dialogue social, volonté de désengagement face à des salariés qui refusent “le chantage” du travail en 4X8, délocalisation déguisée au profit de sites où la législation du travail est moins contraignante pour une multinationale.
La commission d’enquête, réclamée par des députés socialistes et écologistes et mise sur pied en juillet, doit “déterminer les réelles intentions de l’industriel et le mettre face à ses responsabilités, veiller à l’anticipation et à la minoration des conséquences sociales et environnementales en cas de fermeture, décourager les pratiques anormales”.
Après avoir auditionné les syndicalistes et la direction, la commission, présidée par le député UMP de la Somme Alain Gest, se rendra à Amiens pour visiter les usines.
Composée de 30 parlementaires, elle a six mois pour rendre ses conclusions.
“C’est un dossier complexe, empreint de violence”, prévient d’emblée la secrétaire du CCE de l’usine, Mme Catherine Charrier, membre de la CFE-CGC et première personne auditionnée en septembre par les parlementaires.
Amiens (Photo : Denis Charlet) |
Elle retrace la mort lente de l’usine depuis 2007, quand est présenté un projet de création d’un complexe industriel unique voué à la production de pneus à Amiens-Nord et Amiens-Sud, jusqu’à l’annonce par la direction en janvier 2013 de la fermeture définitive d’Amiens-Nord, désormais séparée d’Amiens-Sud.
La syndicaliste dénonce les “exigences démesurées de la CGT”, majoritaire, face au projet du repreneur américain Titan et le “gâchis industriel et humain inimaginable” que constitue l’annonce de la fermeture définitive de l’usine. “Une douche froide terrible”, dit-elle.
“La responsabilité syndicale dans cet épouvantable gâchis ne fait pas de doute”, affirme Charrier pointant la CGT. “Le syndicat majoritaire d’Amiens-Nord torpille le dialogue social”, insiste-t-elle, dans un climat d’intimidations et de violence constants”. Depuis 2009, raconte-t-elle, le personnel vit avec une épée de Damoclès sur la tête” et aujourd’hui, dit-elle, “les salariés sont dés?uvrés, démotivés”. Pour elle, qui affirme avoir été “insultée, humiliée, maltraitée et même menacée de coups par certains”, “l’usine est devenue une zone de non droit”.
“La croisée des chemins”
usine Goodyear de Rueil-Malmaison (Photo : Martin Bureau) |
“Faire porter la responsabilité de la situation à la CGT, c’est nous donner un rôle de gestionnaire que nous n’avons pas”, réplique Michaël Wamen. Avec sa fougue, sa verve de meneur d’hommes, le dirigeant CGT, figure de proue du combat des Goodyear, répond aux attaques et déconstruit la chronique de la mort de son usine.
Pour reconstruire celle d’une mort programmée, selon lui, depuis 1995, quand le groupe, après une grève de 13 jours contre les 4X8 à Amiens, refuse les 80 millions d’investissements demandés, pour investir en Pologne, puis en Chine.
Il évoque les méfaits des 4X8, l’utilisation de produits cancérigènes, le harcèlement moral de la direction déterminée à “détruire le mental” de salariés dés?uvrés, qui “ne savent faire que des pneus”.
Le déclin de l’usine d’Amiens “découlait d’une stratégie voulue” et d’une “volonté de la direction de dégrader encore plus les conditions de travail”, renchérit le délégué Sud, Virgilio Mota Da Silva.
Tous les syndicats s’accordent à dénoncer “un dialogue social impossible” à Amiens-Nord. Mais pour les délégués CFTC d’Amiens-Sud, comme pour la CFE-CGC, “la croisée des chemins” était en 2007 avec l’offre d’un complexe unique, et l’annonce d’investissements pour remédier à l’obsolescence de l’outil de travail.
Amiens-Sud, qui accepte la réorganisation du travail avec 350 jours de production par an, monte en puissance avec des productions à haute valeur ajoutée alors qu’Amiens-Nord poursuit sa descente aux enfers. La production ne cesse de baisser mais les machines ne fabriquent plus qu’une gamme de pneus “vieillissante”, sans acheteurs, selon la direction.
Quelle est la nécessité de “donner du travail aux gens pour stocker” ?, demande le directeur de production d’Amiens-Nord, Michel Dheilly pour qui “on a loupé le complexe unique”.