“La structure actuelle du budget de l’Etat est intenable. Elle ne laisse aucune marge de manœuvre aux dépenses de fonctionnement de l’administration hors salaires (formation et recyclage du personnel de la fonction publique, frais de missions…)”, estime Radhi Meddeb, président de l’association “Action et Développement Solidaire”.
L’expert économique a expliqué dans un entretien avec l’Agence TAP que “la situation est d’autant plus difficile que les recettes n’arrivent pas à couvrir les dépenses, ce qui va engendrer un déficit budgétaire de l’ordre de 20% du budget total de l’Etat (fonctionnement et investissement réunis), soit 7,5% du PIB, en 2013. Bien qu’il soit structurel et régulier, le déficit du budget de l’Etat tunisien n’a jamais atteint de tels niveaux».
“20% du budget de l’Etat sont réservés au financement de la Caisse Générale de Compensation (CGC), 40% au paiement des salaires et 20% au remboursement du service de la dette, alors que 20% du budget seulement sont orientés vers les investissements publics”.
Mettant l’accent sur les mesures dévoilées par le ministre des Finances relatives au Budget 2014, à l’issue d’un conseil ministériel, tenu le 14 septembre courant, l’expert s’est déclaré favorable à “l’exonération des catégories sociales à faibles revenus (moins de 5.000 dinars par an) de l’impôt. La justice sociale aurait été d’exonérer ces catégories dès le lendemain de la Révolution”.
De même, il estime que la mesure relative à la réduction progressive des transactions monétaires directes des sommes supérieures à 20.000 dinars et leur remplacement par des chèques bancaires, postaux ou des virements bancaires, “permettra de conférer davantage de transparence aux transactions financières. Néanmoins, la lutte contre les transactions monétaires est trop étalée dans le temps, comme si le gouvernement craignait de bousculer les mafieux et les spéculateurs”.
S’agissant de la situation économique nationale, M. Meddeb a fait savoir que «les dépenses de la CGC ont explosé sous l’effet de l’attentisme et de l’absence de vision et de volonté politique pour rationaliser ses interventions et limiter ses gaspillages». Aussi, il a pointé du doigt les augmentations de salaires, et les recrutements massifs dans une administration déjà pléthorique, ainsi que le surcroît de la dette publique et la dévaluation rampante du dinar, qui renchérissent le service de la dette. «Face à cette situation peu enviable, le ministère cherche, de toute évidence, à accroître les recettes, mais doit surtout rechercher un meilleur équilibre budgétaire, devant passer par la rationalisation des dépenses publiques. Mais cette partie de l’exercice est difficile et douloureuse, car elle s’attaque aux avantages acquis, remet en cause des rentes de situations, dans l’administration et ailleurs», a-t-il dit.
Le budget est déconnecté des réalités du terrain
Concernant le budget 2014, M. Meddeb juge que «les grands choix politiques de l’heure ne sont pas déclinés et que le budget apparaît comme un exercice comptable déconnecté des réalités du terrain, des besoins des populations et des réponses qui devraient leur être apportées».
Dans ce contexte, il regrette l’absence de mesures portant sur «une profonde restructuration de la CGC, la lutte contre l’économie informelle et le marché parallèle mais aussi contre les régimes forfaitaires, véritables plaies pour l’économie nationale, grevant les revenus de l’Etat».
D’après lui, les mesures annoncées par le ministre des Finances vont «alourdir la fiscalité pour les contribuables et les acteurs économiques, les plus transparents, à savoir les salariés et les entreprises au régime réel».
Selon l’expert, la fiscalité des salariés est, aujourd’hui, la plus transparente du pays, tout en admettant que “les niveaux de salaires annuels affichés pour une infime minorité sont choquants dans la situation économique et sociale actuelle, de la Tunisie, puisqu’ils dépassent dans certains cas anecdotiques plus de trois siècles de SMIG, tel le cas des rémunérations perçues par certains PDG de banques locales privées”.
“Il n’en demeure pas moins que ces salaires sont soumis à l’impôt, dans leur totalité. Cela n’est pas le cas pour les revenus de certaines professions libérales et commerçants de l’économie informelle, lesquels peuvent engranger des revenus annuels très élevés, tout en faisant l’impasse quasi-totale sur leur devoir fiscal».
Partant, il souligne que «l’alourdissement de la fiscalité sur les hauts salaires est une obligation morale, mais elle doit s’accompagner d’une plus grande justice sociale, en s’attaquant aux énormes fuites fiscales localisées essentiellement au niveau de l’économie parallèle et des abus du régime forfaitaire».
En ce qui concerne l’assujettissant des revenus de l’exportation à un impôt de 10%, il a expliqué cette décision par une volonté de rapprocher les deux régimes on-shore et off-shore, tout en estimant qu'”il aurait mieux valu améliorer le cadre juridique régissant les entreprises résidentes, pour le rapprocher de celui des sociétés totalement exportatrices. Pourtant, la démarche retenue est l’inverse, elle soumet l’off-shore aux contrôles fiscaux et à leurs procédures administratives complexes et tatillonnes, risquant, ainsi de faire perdre au site Tunisie, sa compétitivité. Ce n’est pas tant le coût supplémentaire généré qui sera prohibitif pour les entreprises, que la soumission aux procédures administratives ».
Nos emprunteurs classiques seront-ils au rendez-vous?
Pour ce qui est du taux de l’endettement, estimé à 49% du PIB, en 2014, M. Meddeb pense que «nous approchons de la zone de tous les dangers. La dette en elle-même n’est ni bonne ni mauvaise. Seul l’usage que l’on en fait est déterminant. Depuis la Révolution, la dette sert à couvrir la compensation et l’augmentation de la masse salariale. Nous consommons au détriment des générations à venir et cela est inacceptable».
Par ailleurs, il a fait part de ses appréhensions. “Nos emprunteurs classiques (Banque mondiale, Banque africaine du développement…) pourraient ne pas être au rendez-vous pour nous secourir, dans la mesure où les réformes demandées n’ont pas pas réalisées, jusqu’à ce jour”. Et l’expert de citer l’exemple de “l’accord de financement à titre de précaution, signé en juin 2013, entre le gouvernement tunisien et le Fonds monétaire international (FMI), prévoyant la rationalisation du système de subvention (réforme de la CGC), la réforme du système bancaire et des Caisses de retraite et de prévoyance. Des réformes qui n’ont pas été mises en application jusqu’à ce moment».
Pour sortir de l’ornière, M.Meddeb propose de faire du budget 2014 “un projet de relance, de réformes et de développement, conçu sur la base des priorités et des objectifs nationaux”. Pour ce faire, “trois grands chantiers doivent être envisagés par l’Etat, à savoir: la restauration de la confiance (aussi bien des citoyens que des investisseurs tunisiens et étrangers à travers notamment le rétablissement de la sécurité), le lancement des projets de développement afin d’apaiser la tension sociale, et de restaurer la compétitivité de la Tunisie, surtout à travers la réforme bancaire, la lutte contre le secteur informel…” .
WMC / TAP