1. Un passé glorieux
En parcourant le territoire de l’actuelle Jendouba, l’ancienne Bulla Regia, la vallée de la Medjerda, pays des anciens Levatha ou des actuels Louata (dans le langage antique, les Louata sont les Berbères), on est frappé par plusieurs indices qui reflètent une vie économique, culturelle et sociale très riche: la densité et la qualité des ruines, constructions, maisons, monuments publics, thermes; une route construite en pierres dures reliant Bulla Regia a Carthage; la présence de plusieurs théâtres (témoignant d’une vie culturelle dense, d’une population cultivée et savante); Rien que sur le site de l’Antique Bulla Regia, on dénombre pas moins de 3 théâtres, dont l’un pouvant contenir plus de 3.000 spectateurs.
A cela s’ajoutent des huileries et moulins à grains attestant d’une activité agricole riche active, ce qui donna à la Tunisie le nom de “Grenier de Rome“. Pendant toute l’Antiquité et une grande partie du Moyen-âge, la Tunisie était un exportateur des produits agricoles (vins, huiles d’olive) et surtout de céréales (du blé dur) à travers les ports de Carthage et de Tabarka.
En somme, la Tunisie alimentait l’Italie en produits agricoles.
2. Un présent pauvre
Jendouba est devenu l’une des régions les plus pauvres de la Tunisie, économiquement, culturellement et de point de vue urbain. La décadence est nette entre le passé glorieux et un présent misérable. Il suffit de lister plusieurs paramètres pour s’en rendre compte: chômage, taux d’urbanisation, taux d’industrialisation, etc.
3. Une piste d’explication
De mon point de vue, la récession de la région de Jendouba a été amorcée au 19ème siècle sous la colonisation agricole. En effet, la Tunisie a connu 3 modèles agricoles:
– Une zone non affectée par la colonisation agricole, due à une structure de la propriété très développée: le Sahel et les oasis du Djérid;
– Une zone de colonisation agricole extensive (la haute et la basse steppe ou le Pays Sfaxien): Il s’agit d’un modèle économique mixte associant la force du travail du métayer sfaxien ou Megharsi et le propriétaire français absentéiste ou de société comme la Compagnie Sfax-Gafsa propriétaire du Hanchir Chaal.
Le colon apporte le capital et la terre, le paysan autochtone le travail et le labeur. Ainsi, le fellah tunisien a pu accéder à la propriété et possède un certain bien-être en 2 phases : lors de la plantation et sous le régime colonial, et avec l’indépendance, en achetant la part du colon.
Ainsi, on peut expliquer en grande partie plusieurs fortunes de familles sfaxiennes, devenues par ce truchement des capitalistes et accéder à une richesse agricole leur permettant de changer de mode de vie, du rural vers le citadin, améliorant leur niveau de vie et investissant dans l’économie du savoir à travers l’envoi de leurs progénitures vers les meilleures universités françaises; ce qui explique que la première vague de diplômés (médecins, ingénieurs, etc.,) des années 60-70, dans une très grande partie, soient issus de ces familles, et ce avant la démocratisation de l’enseignement public qui a permis de toucher l’ensemble des Tunisiens.
Ce phénomène a été appelé par l’historien Jean PONCET “Colonisation franco-sfaxienne!“.
Ces mêmes propriétaires ont investi dans l’industrie à partir des années 70, et ce suite à la stratégie de promotion de l’industrie lancée sous la houlette de l’ancien Premier ministre, Hédi Nouira, avec la fameuse loi de 72.
Une zone de colonisation agricole de peuplement. Elle a concerné la zone du nord-ouest de la Tunisie et la Vallée de la Medjerda, où on a assisté à la présence de milliers d’agriculteurs européens (français, maltais et italiens). Qui sont devenus propriétaires et agriculteurs.
Refoulement des paysans tunisiens vers les djebels et les terres à faible rendement et en les réduisant à de simples ouvriers. Donc, leur statut social et économique précaire fait de sorte qu’ils constituent une classe pauvre, ayant peu de qualifications et non éduquée.
Apres l’indépendance, les terres des colons sont devenues une propriété de l’Etat, lequel est devenu le plus grand propriétaire et le premier acteur économique en marginalisant les habitants locaux.