L’image que l’Histoire retiendra de l’Assemblée nationale constituante (ANC) risque de n’être guère reluisante. Et pas seulement parce que ses membres se sont mis à dos une grande partie de l’opinion lorsqu’ils ont demandé et obtenu une substantielle augmentation de leur rémunération, ou brillé par leurs absences dans l’hémicycle. A cela s’ajoute la piètre qualité de leur production en matière de textes juridiques –dont la Constitution, mais pas seulement. Ikbel Ben Moussa pointe surtout du doigt la Loi constitutionnelle n°6-2011 du 16 décembre 2011, relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, dite la «petite Constitution».
Cette juriste a, lors de la conférence organisée samedi 28 septembre 2013 par l’Association tunisienne de droit constitutionnel (ATDC) sur «Droit des crises et crise du droit en période de transition», mis à nu en particulier l’incapacité de la «petite Constitution» à faire ce qu’on en attend: aider à résoudre les crises politiques caractéristiques de tout processus de transition.
Pour Ikbel Ben Moussa, enseignante à la Faculté de droit de Tunis, la loi constitutionnelle n°6-2011 du 16 décembre 2011, relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics n’a été d’une certaine utilité que lors de la crise de fin juin 2012, consécutive à l’extradition du dernier chef de gouvernement libyen de l’ère Kadhafi, Mahmoud Baghdadi.
La crise avait alors été provoquée par «le manque de clarté dans la définition des prérogatives» ou, plus précisément, de la répartition de ces dernières, entre le chef de gouvernement, Hamadi Jebali, qui avait décidé l’extradition, et le président de la République, Moncef Marzouki, qui s’y était opposé.
La sortie de crise s’était effectuée par le biais de l’article 20 stipulant que «les conflits de compétence entre les attributions du président de la République et celles du chef du gouvernement sont soulevés devant l’Assemblée nationale constituante à la demande de l’une des parties. L’ANC tranche le conflit à la majorité de ses membres après avis de l’assemblée plénière du Tribunal administratif».
Quelques mois plus tard, la petite Constitution démontrera pour la première fois son incapacité à résoudre les problèmes politiques lors de la crise provoquée par l’assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février 2013. Car ce texte, observe Ikbel Ben Moussa, ne prévoyait pas le cas de figure –qui s’est finalement avéré- la démission spontanée du chef du gouvernement (et secrétaire général d’Ennahdha), Hamadi Jebali.
Aujourd’hui et à la suite de l’assassinat de Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013, le pays se trouve de nouveau dans une situation non prévue par la Loi constitutionnelle n°6-2011 du 16 décembre 2011, relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, avec des appels à la démission du gouvernement, mais sans qu’il ait fait l’objet d’une motion de censure, et la revendication d’un amendement –également avancée par l’opposition- de cette «petite Constitution», qu’aucune disposition ne prévoit ce genre d’opération.
Mais, avertit Ikbel Ben Moussa, le problème le plus difficile est encore à venir et il porte sur ce que doivent être les prérogatives de l’ANC durant la période restante de la transition. Deux avis s’affrontent à ce sujet, rappelle l’universitaire.
Le premier est défendu par l’opposition qui voudrait que cette Assemblée soit confinée dans le seul bouclage de la rédaction de la Constitution et qu’elle soit donc dépouillée de tout rôle législatif ou de contrôle du gouvernement.
Le deuxième avis est celui de la Troïka au pouvoir qui ne veut pas entendre parler du retrait de la moindre parcelle de pouvoir à l’ANC.
Constatant que le Quatuor médiateur dans la crise en cours a proposé une solution de compromis prévoyant le maintien du contrôle du gouvernement par l’ANC, mais exigeant une majorité des 2/3 pour le dépôt d’une motion de censure, Ikbel Ben Moussa soutient cette idée en soulignant que le retrait du pouvoir de contrôle à l’ANC «est contraire aux principes fondamentaux de l’organisation des pouvoirs dans les régimes démocratiques dont nous voulons faire partie».