Ouvrir le dimanche pourrait créer des emplois? Rien n’est moins sûr

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Un magasin parisien Leroy Merlin, ouvert le dimanche 29 septembre 2013 (Photo : Kenzo Tribouillard)

[05/10/2013 15:02:55] Paris (AFP) Ouvrir les commerces le dimanche pour créer des emplois? Avec le retour en force du dossier du travail dominical, cet argument fréquemment avancé est loin de faire consensus chez les économistes.

Le débat se poursuit alors que Castorama et Leroy Merlin ouvrent à nouveau dimanche quatorze magasins en Ile-de-France, maintenant leur pression sur le gouvernement auquel Jean-Paul Bailly doit soumettre des propositions fin novembre.

Favorable à des assouplissements, la candidate UMP aux municipales de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet, a estimé que l’ouverture des magasins le dimanche “permettrait de créer au moins 10.000 emplois supplémentaires” dans la capitale.

Pour le Conseil du commerce de France, l’ouverture 10 à 12 dimanches par an génèrerait 20.000 postes.

Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, a lui aussi plaidé, à l’instar du patron du Medef, Pierre Gattaz, en faveur d’une plus grande flexibilité pour “créer de l’emploi”.

Aux antipodes, la CGT tonne qu’il est “faux” d’affirmer que le travail dominical “est bon pour l’emploi et l’économie”.

Pour Karl Ghazi, du Clic-P, l’intersyndicale du commerce parisien, “toutes les études, que ce soit aux Etats-Unis, au Canada, en Italie ou en France, ont montré que l’effet sur l’emploi serait extrêmement marginal”.

L’étude française la plus récente, une simulation publiée en 2008 par le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), conclut à des effets négatifs dans les commerces alimentaires, avec 6.800 à 16.200 emplois détruits, essentiellement dans le petit commerce. Dans le commerce non-alimentaire, le bilan se situerait quelque part entre +14.800 et -5.400 emplois, un solde jugé d’une “amplitude très limitée au regard de la masse d’emploi du commerce de détail (1,8 million)”.

Pour Robert Rochefort, économiste, ancien directeur du Crédoc et député européen centriste, il y a eu une grande nouveauté depuis l’étude de 2008: l’intensification du tourisme international.

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Dans un magasin parisien Leroy Merlin, ouvert le dimanche 29 septembre 2013 (Photo : Kenzo Tribouillard)

Il y voit un “levier considérable, qui ne vaut pas pour Leroy Merlin et Castorama mais pour les Galeries Lafayette ou le Printemps Haussmann”, à Paris, où l’ouverture dominicale permettrait, selon lui, 500 à 1.000 créations nettes d’emploi.

Autre évolution: “bien qu’il y ait énormément de Français qui manquent de pouvoir d’achat, il y a de l’autre côté des +insiders+ qui ont un pouvoir d’achat important mais pas assez de temps pour consommer”, dit-il.

M. Rochefort évoque donc, “au doigt mouillé”, 60.000 emplois créés, “essentiellement à temps partiels, mais sur lesquels on ne peut pas cracher”.

“Une idée qui ne tient pas la route”

“Même si donner un chiffre relève de la gageure”, Marc Touati, du cabinet ACDEFI, a calculé que 50.000 emplois pourraient être créés chaque année.

“En ouvrant les commerces le dimanche, on ne va pas changer l’économie française, les avantages sont très limités. Mais on peut évaluer la hausse du PIB à 0,2 point par an”, selon lui.

“Il faut être honnête, je vois mal comment on peut créer des CDI sur du travail du dimanche, mais cela pourra constituer un revenu supplémentaire pour les étudiants et les chômeurs”, affirme M. Touati, qui table sur “une dynamique vertueuse de croissance”.

A l’exact opposé, son confrère Eric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), affirme qu'”il n’y a rien à attendre” en termes de créations d’emplois de l’ouverture dominicale, qui ne recèle selon lui “aucun enjeu économique”.

“On ne peut attendre un supplément d’activité que par le biais du commerce avec les touristes, or c’est un canal déjà utilisé. Par ailleurs, penser que la consommation des Français est bridée par la fermeture des magasins, c’est une idée qui ne tient pas la route”, assure-t-il.

“Ceux qui promettent des dizaines de milliers d’emplois n’ont pas une vision bouclée des choses, et ne prennent pas en compte les exemples à l’étranger qui ont montré que ça ne marchait pas”, affirme-t-il, citant le cas de l’Allemagne, où “de légers assouplissements en 2003 n’ont pas eu d’impact sur le niveau d’épargne, la consommation et la croissance”.

Et d’ajouter: “d’un point de vue sectoriel, au niveau des entreprises, il y a forcément des impacts. Mais d’un point de vue macro-économique, il y a forcément des perdants”.

La Confédération des PME s’est ainsi dite opposée à une “dérégulation totale”, qui “signerait l’arrêt de mort du commerce indépendant”.