Même chez LVMH, la marque Loro Piana se sent toujours italienne

1dd0d41221d9622a5a42ad25415bf51759d7ae4e.jpg
à Quarona le 9 septembre 2013 (Photo : Giuseppe Cacace)

[06/10/2013 13:38:57] Milan (AFP) Trahison ou mariage de raison? Il y a trois mois, Loro Piana, marque-phare du “Made in Italy”, passait sous le pavillon du français LVMH, faisant grincer quelques dents dans le pays. Mais Pier Luigi Loro Piana, héritier de la famille, ne pense pas avoir marqué contre son camp en s’alliant au leader mondial du luxe, au contraire.

Avec son histoire s’échelonnant sur six générations d’une même famille, Loro Piana a tout du symbole de l’entreprise de luxe italienne traditionnelle avec son fort ancrage dans son terroir, le Piémont (Nord), et sa revendication de qualité “intemporelle” et imperméable aux caprices de la mode.

Née sous sa forme actuelle en 1924 à Quarona, petit bourg au pied des Alpes, la société est spécialisée dans les tissus (cachemire, laine de vigogne, mérinos et fleur de lotus) et les vêtements et accessoires très haut de gamme, dont le prix peut atteindre plusieurs milliers d’euros pièce. Sa filière de production, organisée verticalement, est contrôlée de bout en bout.

3f06eb87276301197591b3b062f9efa85c30284d.jpg
à Quarona le 8 septembre 2013 (Photo : Giuseppe Cacace)

Le rachat en juillet par le groupe LVMH, pour 2 milliards d’euros, de 80% du capital de l’entreprise, jusqu’ici détenu par la famille, s’inscrit dans la lignée d’une longue série d’acquisitions similaires. Ainsi les italiens Bulgari, Fendi et Emilio Pucci sont tombés dans l’escarcelle du groupe de Bernard Arnault (Moët et Chandon, Hennessy, Guerlain, Louis Vuitton, Dior…).

Son rival français Kering (ex-PPR) détient de son côté les griffes Gucci, Bottega Veneta, Sergio Rossi, Brioni et le joaillier Pomellato. Ces opérations à répétition ont alimenté le trouble dans une Italie en crise et inquiète pour son industrie. La presse locale joue régulièrement à se demander qui sera la prochaine proie des appétits français.

Mais pour Pier Luigi Loro Piana, 62 ans, qui cumule les postes de CEO et de président du groupe, les discours patriotiques n’ont pas de sens: “Il ne faut pas confondre la vie d’une entreprise avec celle d’une équipe de foot: nous ne participons pas à un tournoi Italie-France ou contre l’Allemagne. Nous essayons de faire au mieux pour notre entreprise et pour l’Italie”, dit-il dans un entretien à l’AFP.

L’arrivée à son capital d’un poids lourd comme LVMH est avant tout synonyme de “synergies”, et permettra un “développement plus rapide et peut-être aussi plus solide que pour une entreprise seule comme l’était Loro Piana”, fait-il valoir. “Des marchés qui pour nous n’étaient pas immédiatement prioritaires peuvent le devenir car il y aura plus de ressources à disposition”.

a29a368fc65941305608e5e0c55f0d054c5c5cc4.jpg
à Roccapietra le 9 septembre 2013 (Photo : Giuseppe Cacace)

Non que Loro Piana, qui emploie environ 2.500 personnes, se porte mal: le groupe va même “totalement contre la tendance de l’économie nationale” (en récession depuis deux ans), note-t-il. Son chiffre d’affaires, 627 M EUR en 2012, devrait grimper à 700 M cette année pour un bénéfice avant impôts représentant plus de 20% des ventes (soit 140 M EUR).

“Je ne crois pas que LVMH veuille modifier de manière importante la stratégie de Loro Piana. Sinon, je ne pense pas qu’ils l’auraient acheté”, estime-t-il. Pier Luigi Loro Piana et son frère Sergio, 65 ans, ont d’ailleurs conservé leurs postes de direction respectifs –qu’ils échangent tous les trois ans– et 20% du capital de l’entreprise. Une succession au profit de leurs enfants et neveux n’est pas à l’ordre du jour.

“Si Loro Piana se développe davantage dans les années à venir, nous aurons fait le bon choix pour l?Italie, pour nous et pour le groupe LVMH. Ce qui compte c’est la valeur ajoutée que nous apportons à l?Italie”, ajoute-t-il.

Marco Fortis, professeur d?économie à l?Università Cattolica de Milan, note que Loro Piana et toutes les sociétés rachetées avant elle ont en commun “d’être de grandes entreprises, mais pas assez grandes pour croître encore dans le marché mondial”, en particulier au vu des lourds investissements requis dans les pays émergents.

“En Italie, on se plaint toujours du fait que des étrangers acquièrent les entreprises”, sans voir que les Italiens ne sont pas en reste, par exemple dans le secteur mécanique, note-t-il.

La stratégie de Loro Piana et de ses pairs comporte “un avantage réciproque”, relève-t-il, car “la France a peu d’entreprises mais beaucoup de capitaux et l’Italie a beaucoup d’entreprises mais peu de capitaux”. De plus, les acquéreurs français se montrent très attentifs à valoriser l’ensemble de la filière manufacturière italienne qu’ils reprennent.

La supposée menace pour le “Made in Italy” du fait de groupes étrangers est donc une chimère, d’autant qu'”il naît continuellement de nouvelles marques de luxe qui seront les grandes marques du futur”, souligne-t-il, en citant Brunello Cucinelli, Cruciani ou Lardini.