Le taux de change du dinar tunisien par rapport à l’euro était à la fin de cette semaine, de 2,18 contre 2,236, jeudi, et 2,17 mercredi, selon la Banque centrale de Tunisie (BCT). Pour certains experts, une telle fluctuation reflète la dégradation de la situation économique dans le pays.
A rappeler que l’institut d’émission avait déjà reconnu, depuis fin septembre dernier, que “le taux de change du dinar a connu, depuis le début du mois de mai dernier, des tensions qui se sont traduites par une dépréciation de 4,1% vis-à-vis de l’euro et de 6,1% par rapport au dollar”. Cependant, d’autres sources estimaient que le dinar tunisien perdait environ 10% de sa valeur face à l’euro.
La BCT avait, déjà, dû venir à la rescousse du dinar, en mai dernier, dans l’objectif de stabiliser le marché de change et rassurer les opérateurs économiques, injectant 638 millions de dinars, durant la période du 13 au 16 mai dernier. Ces injections équivalaient déjà au tiers des interventions de la BCT depuis le début de l’année.
Le glissement du dinar n’est pas nouveau…
Pour l’économiste Houcine Dimassi, le glissement du dinar par rapport aux autres monnaies et particulièrement l’euro ne constitue pas un phénomène inhabituel pour la Tunisie compte tenu de sa situation économique. «C’est le rythme de la baisse qui est inhabituel, laquelle baisse est due à deux facteurs essentiels», a précisé cet ancien ministre à l’Agence TAP.
Le premier facteur consiste en l’aggravation du déficit des paiements extérieurs notamment le déficit de la balance commerciale du à l’importante hausse des importations, ce qui est de nature à brouiller l’image pour les partenaires étrangers. “Dans une telle situation, seule une dévaluation du dinar saurait les tranquilliser”, a indiqué cet ancien responsable démissionnaire du cabinet de Hamadi Jebali.
Quant au second facteur, également lié au premier, il porte sur la hausse de l’inflation qui tourne autour de 6 % et génère obligatoirement une hausse des coûts de production et partant une baisse de la compétitivité.
Selon M. Dimassi le glissement du dinar pourrait avoir un impact positif sur l’économie nationale et favoriser une relance des exportations, du tourisme et des transferts en devises assurés par la communauté tunisienne à l’étranger.
Cependant, cette relance demeure incertaine d’autant qu’elle dépend d’autres facteurs liés au climat politique et social dans le pays.
Par conséquent, deux risques majeurs guettent l’économie tunisienne à la faveur de cette baisse de la valeur de la monnaie nationale.
La faute aux augmentations des salaires..
Le premier risque consiste à favoriser un cercle vicieux lors duquel l’inflation entraîne une hausse des prix et vice versa. Le second mène vers un autre cercle vicieux, non moins dangereux, à savoir l’accroissement de la dette publique notamment la dette extérieure, augmentant ainsi les charges du budget de l’Etat.
Selon M. Dimassi, l’économie «subit de fortes pressions mais la situation risque de s’aggraver davantage au vu d’une dépréciation continue du dinar». La solution consiste, d’après lui, à mettre fin à toute augmentation des salaires et au blocage des sites de production à l’instar de ce qui se passe dans le bassin minier.
Pour M. Dimassi, les politiques ne semblent pas conscients des dangers qui guettent l’économie nationale. “La décision d’augmentation des salaires et primes de plusieurs fonctionnaires de l’Etat, prise le 11 septembre 2013 par le gouvernement, en constitue la preuve”, a-t-il indiqué.
Quant au ministère des Finances, il assure de son côté que l’année 2013 a été marquée par une hausse de près de 5% du niveau des salaires par rapport à l’année 2010.
Pour sa part, Moez Joudi, expert en gouvernance économique et financière, a fait savoir que la marge de manoeuvre aurait été plus aisée si les responsables avaient tenu compte des constats et observations relevés par les experts, depuis une année, concernant la dégradation de la situation économique.
Contacté par l’agence TAP, il a indiqué que le déficit du budget de l’Etat atteindra 7,4%, d’ici la fin de 2013, contre des prévisions de 5,9% alors que celui-ci ne devrait pas, en fait, dépasser 3%. Et d’ajouter que le déficit de la balance commerciale, établi, actuellement, à 8 milliards de dinars, passera à environ 15 milliards de dinars à la fin de 2013, triplant par rapport à 2010.
Les réserves en devises ne sont plus qu’à 103 jours et ce, “grâce essentiellement aux crédits accordés par le Japon et le Fonds monétaire international lesquels ne constituent pas des ressources durables”, souligne l’expert.
Forte régression des ressources durables des avoirs en devises
Ces réserves servent notamment à financer les échéances des crédits obtenus par la Tunisie, à assurer les importations et «sont un matelas” pour intervenir et rééquilibrer le dinar. Maintenant que ces réserves en devises sont en baisse, il devient de plus en plus difficle pour la BCT de mener à bien toutes ces fonctions, notamment celle consistant à “protéger la valeur du dinar”.
Cette situation est d’autant “plus grave”, d’après M. Joudi, que les ressources durables des avoirs en devises de la BCT provenant des recettes du tourisme, des investissements directs étrangers (IDE), des exportations et des transferts des Tunisiens à l’étranger, accusent, à leur tour, des régressions notables.
Les transferts en devises de leurs bénéfices par les sociétés étrangères installées en Tunisie affaiblissent, eux aussi, le dinar qui est donc “beaucoup plus vendu qu’acheté”.
Pour faire face à cette situation M. Joudi préconise un plan de sauvages global car les problèmes sont structurels, affirmant que la stabilité politique est la condition sine qua non pour un retour de la confiance des investisseurs.
Il y a également lieu d’accomplir un travail ardu au niveau des moteurs de la croissance à savoir la consommation, l’investissement et les exportations, selon ses dires.