Un
engagement critique par rapport aux médias dans la Tunisie postrévolutionnaire
devrait nous pousser, en tant qu’acteurs directs ou indirects opérant dans le
secteur médiatique et en tant que publics, à s’interroger sur la représentation
de la violence dans les débats télévisés, radiophoniques tout autant que sur les
articles publiés par la presse écrite ainsi que les commentaires et écrits
diffusés à travers la Toile.
La violence -visuelle, gestuelle, verbale et écrite, en Tunisie- n’a jamais
atteint des degrés aussi élevés. «Les produits médiatiques, même les actualités
et les documentaires, sont des constructions intentionnelles», estiment les
experts du Centre canadien d’éducation aux médias et de littérature numérique.
Nous n’avons pas besoin de chercher aussi loin pour en voir l’illustration dans
la Tunisie de l’après 14 janvier: stigmatisation de l’autre, intolérance,
absence du respect au droit à la différence et absence du débat d’idées noyé
dans la démagogie et un discours populiste. Un discours qui a poussé plus vers
la division du peuple tunisien que vers son adhésion à un modèle de société
commun riche par son histoire et caractérisé par sa multiplicité culturelle et
même idéologique à l’origine pacifique avant qu’elle ne devienne violente et
vindicative.
Est-ce la recherche du sensationnel? La manipulation de l’esprit en usant des
émotions et en exploitant les liens indéfectibles qui existent entre un peuple
culturellement conservateur et sa foi? En l’occurrence l’islam? Comment a-t-on
exploité l’histoire de l’oppression politique vécue par certains pans de la
société tunisienne pour en faire un motif positif justifiant une certaine
violence morale et médiatique?
La Tunisie souffre aujourd’hui d’un mal incrusté au plus profond d’elle-même et
initié aussi bien par la Troïka au pouvoir que par les démocrates qui n’ont pas
su amener le débat national sur le fond des problématiques du pays liées au
développement économique, à la stabilité sécuritaire, à la création de richesse
et à l’emploi des jeunes. Ils ont été entraînés dans le débat idéologique qui a
limité les maux nationaux à des différences d’ordre idéologique à l’origine
pratiquement absente des débats politiques dans le pays.
Qui ont véhiculé ces discours? En premier lieu, les médias conventionnels parce
que jouissant d’un statut de crédibilité qui ne devrait pas exister sur les
réseaux sociaux qui ont pris le pas sur les vecteurs compétents et autorisés de
l’information.
Des contenus haineux et diffamatoires…
Une étude récente de l’Observatoire arabe des médias portant sur le monitoring
des médias de janvier à mars 2013 a démontré que les attitudes haineuses sont
illustrées par la stigmatisation, les injures, la discrimination, la
diffamation, et peuvent aller jusqu’à l’appel au meurtre et la lapidation.
Les chiffres avancés sont effarants, soit 75% d’injures et 19% d’appels au
meurtre et à la violence dans la presse quotidienne; 58% dans la presse
hebdomadaire, 67% d’injures et 9% d’appels à la violence et au meurtre dans les
radios; et 73% d’injures et 9% d’appels à la violence et au meurtre dans les
télévisions.
Sur les réseaux sociaux, on pourrait doubler voire tripler ces chiffres tout
comme les pratiques des politiques dévoilées par leurs débats à la Constituante
et leurs conférences de presse.
Les thèmes les plus traités d’après l’étude de l’Observatoire se rapportent à la
politique, la religion, la corruption et les institutions. Aucun ne se rapporte
à un projet de société ou à une vision de la nouvelle Tunisie… C’est dire à quel
point ces débats sont destructeurs…
Sim médias épinglés…
Les supports médiatiques touchés par l’étude ont été «Al Maghrib, Assarih,
Attounissia, Echourouk, La Presse de Tunisie et Le Temps.
L’évaluation des contenus à nature haineuse a montré que le quotidien Al Maghrib
comporte un contenu diffamatoire à hauteur de plus de 40% et discriminatoire de
80%; Assarih verse plus dans le diffamatoire que d’autres journaux; Al Chourouk
dans le discriminatoire et l’injurieux; alors que Le Temps c’est dans la
stigmatisation et l’injure.
Pour ce qui est des pourcentages des lettres de haine dans la presse
hebdomadaire, Al Massa occupe la tête du peloton pour ce qui est de la
diffamation et des injures, suivi d’Adhamir et Akher Khabar.
Le pire dans les conclusions de l’étude est que 52% des discours de haine dans
les quotidiens sont en rapport avec la religion et les représentants des partis.
Ceci laisse entrevoir, bien entendu, des marionnettistes qui tirent les ficelles
des discours véhiculés par les médias manipulés, achetés ou même rackettés par
certains acteurs politiques ou représentants de la sociétés civile en Tunisie.
A qui la faute ?
A qui incombe la responsabilité de ce désastre dont les conséquences sur l’unité
nationale sont plus que néfastes? Aux médias? Aux composantes politiques et
celles de la société civile? Aux financements occultes des réseaux sociaux et
supports médiatiques?
C’est à l’Association «Femmes et leadership», chargée par le PNUD et d’autres
organismes internationaux de répondre à toutes ces questions et surtout de
mettre en place une stratégie visant à unir les acteurs médiatiques et ceux de
la société civile autour d’une nouvelle culture. Une culture qui vise
l’instauration des valeurs du dialogue dans le respect des différences
idéologiques et des principes démocratiques en évitant toute violence verbale ou
gestuelle.
Il ne sera pas facile dans le contexte actuel du pays d’affronter les démons du
passé et du présent d’une classe politique et d’un leadership qui n’arrive pas à
dépasser son «Moi» pour voir plus loin: les hauts intérêts du pays et prendre en
compte, dans ses petits calculs intéressés, les raisons d’Etat. Mais osons
espérer que par ses actions de sensibilisation et de formation, Femmes et
leadership réussira une réconciliation nationale là où d’autres ne font que
faillir, et ce à travers le quatrième pouvoir: les médias.