Affaire Banque Franco-Tunisienne : Les dessous du revirement de l’Etat (1)


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Ben Hmidane ne craint visiblement pas de se déjuger, en reconnaissant un
fait après en avoir démenti l’existence. Le fil de ses déclarations et de
celles de son département nous en fournissent une parfaite illustration.

Le 20 septembre dernier, le ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires
foncières se fendait d’un communiqué en réaction à un article du quotidien «Echourouk»
traitant de l’affaire de la Banque Franco-Tunisienne (BFT). Il y affirmait
avoir «été surpris au moment de prendre connaissance du rapport de
l’Inspection par l’existence d’un document daté du 31 août 2012 consistant
en un procès verbal d’accord amiable que le conseiller rapporteur général au
Contentieux de l’Etat a intentionnellement signé et y a apposé le cachet de
l’administration sans avoir été mandaté et dépassant ainsi les prérogatives
de la Commission des litiges (…)».

Vingt jours plus tard, et après que Webmanagercenter.com a apporté les
preuves que le ministre et l’ensemble du gouvernement étaient au courant des
négociations en vue d’un règlement amiable avec la société ABCI à propos de
la BFT et de l’accord-cadre du 31 août (lire notre article), M. Hmidane
affirme quasiment le contraire.

Dans l’interview qu’il nous a accordée jeudi 10 octobre 2013 (lire ici), il
déclare en effet d’abord que «tous les départements et organismes étatiques
concernés par le litige étaient tous au courant des négociations directes
menées avec ABCI par une commission ad hoc, ainsi que de l’accord de
principe intervenu entre les parties sur la suspension provisoire de la
procédure arbitrale CIRDI».

Et s’il maintient, dans un premier temps, qu’«ils n’ont jamais été informés
de l’existence d’un procès verbal d’accord, paraphé, signé et même envoyé à
la partie adverse», il se rétracte aussitôt dans la phrase suivante –ce que
ressemble à une reconnaissance du bout des lèvres qu’il était bien au
courant de l’existence du procès verbal du 31 août 2012- pour dire que «si,
le cas échéant, un document semblable a été rédigé et reçu par l’un de ces
départements, il ne serait, en l’occurrence, qu’un projet d’accord dénué de
toute signature, toujours tributaire d’une approbation, modification ou
rejet de la part de la Commission du contentieux».

Le «glissement» de la position du ministre que reflète cette dernière phrase
n’est pas fortuit. En fait, il reflète l’intime conviction de M. Ben Hmidane
qu’il était en fait au courant –et favorable à cela- de tout depuis le début
mais que pour des raisons d’Etat il ne pouvait pas ou ne voulait pas
l’avouer.

Nous disposons aujourd’hui de deux nouvelles pièces qui prouvent cela sans
l’ombre d’un doute. La première pièce est une «attestation sur l’honneur»
(voir fac similé) faite par Mondher Sfar, l’ancien conseiller du ministre
des Domaines de l’Etat –faite et enregistrée le 8 octobre 2013 au consulat
de Tunisie à Paris- dans laquelle il précise ses précédents témoignages. M.
Sfar précise que la rencontre qu’il a eue en compagnie de Hamed Nagaoui,
conseiller rapporteur du contentieux de l’Etat, à Mahdia a eu lieu le 30
août 2012, et qu’«elle a été rendue nécessaire par la proximité de la date
limite de la fin des négociations amiables avec l’ABCI –qui a été fixée par
le CIRDI au début de septembre 2012- et qu’il fallait en conséquence prendre
une décision avant cette échéance quant à l’avancement des négociations
amiables».

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L’attestation sur l’honneur de Mondher Sfar (enregistré le 8 octobre 2013 au consulat de Tunisie à Paris) dans laquelle l’ancien conseiller de Slim Ben Hmidane confirme que le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières a bien écouté, le 30 août 2012, Hamed Nagaoui, conseiller rapporteur du Contentieux de l’Etat, lui lire le texte du projet d’accord-cadre du 31 août 2012 avec la société ABCI, et qu’une copie lui a été laissée.

Surtout, l’ancien conseiller affirme que «M. Nagaoui a lu le projet d’accord
et a exposé les avantages liés au principe d’un accord gagnant-gagnant, où
la Tunisie n’aura pas à débourser des devises et n’aura pas à payer à la
partie demanderesse des dédommagements aussi lourds que ceux que le CIRDI
pourrait estimer» et que «Slim Ben Hmidane a été d’accord sur le projet
d’accord-cadre à signer par les parties et nous lui avons laissé un
exemplaire de ce projet».

La deuxième pièce est encore plus importante (voir fac-similé). Il s’agit
d’une note du ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières
elle-même adressée le 22 juillet 2013 au chef du gouvernement dans laquelle
il demande notamment «d’arrêter votre position en ce qui concerne le procès
verbal d’accord amiable conclu avec la partie adverse le 31 août 2012 dont
une copie accompagnait le courrier qui vous a été adressé depuis le 20
octobre 2012».

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Dans cette note en date du 20 juillet 2013, Slim Ben Hmidane, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, demande au chef du gouvernement de “déterminer votre position au sujet du procès verbal de règlement amiable avec la partie adverse conclu le 31 août 2012 et qui était attaché à la lettre qui vous a été adressée le 20 octobre 2012“.

Maintenant que cette question du PV du 31 août 2012 est réglée, deux autres
–essentielles- demeurent sans réponses –et nous allons y apporter un début
de réponse sur la base des éléments dont nous disposons: le règlement
amiable dont les grandes lignes avaient été esquissées est-il profitable à
la Tunisie? Pourquoi l’Etat s’est-il rétracté après s’être engagé sur la
voie du règlement amiable de l’affaire de la BFT?

L’accord-cadre, d’abord. Dans la recherche d’une solution au problème de la
BFT, deux aspects pouvaient inquiéter l’Etat: le montant des réparations et
le transfert de devises, tous deux insupportables dans le contexte actuel.
Or, la société ABCI s’était engagée dans le PV du 31 août 2013 à accepter
qu’il n’y ait pas de sortie de devises du pays en sa faveur.

Quant au montant, l’actionnaire majoritaire de la BFT était prêt -et il l’a
dit à maintes reprises-, dans le cadre d’un arrangement win-win, à faire des
concessions et de surcroît à reconvertir en investissements le montant des
réparations sur lequel les deux parties se mettraient d’accord (lire notre
article
).

La Tunisie pouvait-elle espérer plus et mieux? Fort probablement pas. Et
maintenant qu’il a gâché l’opportunité qui lui était offerte de conclure un
règlement fort avantageux de l’affaire de la BFT, il ne peut pas espérer
avoir autant et, encore moins, plus devant le CIRDI. Il peut même s’attendre
à une facture beaucoup plus salée. Puisque n’étant plus dans une logique de
solution amiable, la société ABCI pourrait bien demander le maximum en
termes de réparations. Et, de surcroît, le montant que le CIRDI fixera devra
être réglé en devises.

Lire aussi tous nos articles sur l’affaire Banque franco-tunisienne : :

Banque – Affaire BFT-Abdelmajid Bouden: Retour à la case départ?

Affaire BFT : La Cour de cassation rétablit Abdelmajid Bouden et la société ABCI dans leurs droits (2 et fin)

Affaire de la Banque franco-tunisienne: La Cour de cassation rétablit Abdelmajid Bouden et la société ABCI dans leurs droits (1)

Tunisie : Abdelmajid Bouden évoque les trois hypothèses dans le règlement du contentieux BFT-ABCI

Tunisie – Banques: Ce que propose Bouden pour régler le contentieux BFT-ABCI

Tunisie : Abdelmajid Bouden révèle les dessous de l’affaire de la BFT (2)

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Finance: Genèse et différentes phases de l’affaire de la BFT

Affaire de la Banque Franco-Tunisienne : Mondher Sfar accuse un lobby au sein du gouvernement

Affaire de la Banque Franco-Tunisienne – ABCI :
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