Gare à la lecture superficielle des indicateurs économiques. Le frémissement de la croissance en 2013 ne doit pas servir d’écran de fumée pour occulter les déséquilibres graves et principalement l’impasse budgétaire. L’instant est politique, le péril est économique.
L’Association de recherche sur la transition démocratique (ARTD) veut varier les registres de ses débats. Longtemps focalisée sur les questions constitutionnelles et politiques, étant donné la pression du processus transitionnel, l’Association juge qu’il y a urgence économique. Dans cette perspective, elle a convié Mustapha Kamel Nabli (MKN), pour parler des défis imminents de l’économie tunisienne.
L’ex-gouverneur de la BCT considère que l’économie tunisienne a perdu de sa résilience. Sa résistance aux chocs imminents, prévisibles, pourrait contraindre les pouvoirs publics à recourir à des thérapies de choc. Le non dit, ici, est que l’opinion n’est peut-être pas prête à les encaisser. Et, c’est bien ce qui donne un message retentissant aux propos du conférencier: il ne sert à rien de s’abriter derrière les redressements d’indicateurs. Ce sont des événements éphémères. Le pays est en carence de dynamisme et va terriblement manquer de moyens.
Le pays n’a plus les moyens de sa croissance
Il ne faut pas se leurrer par certains clignotants qui ont viré, épisodiquement, au vert. Le taux de croissance en 2012 a bien été de 3,6%. En 2013 on annonce un taux de 3%, mais il ne faut pas croire pour autant que le pays a renoué avec l’euphorie économique comme pourrait le laisser croire une lecture superficielle des signes de reprise des indicateurs.
La croissance n’est pas le résultat d’un effort d’investissement ou d’un gain de productivité, elle est venue de la reprise d’activité des secteurs sinistrés selon le conférencier, à savoir les phosphates ainsi que la chimie, le pétrole et le tourisme.
Les dépenses de soutien de la demande interne y ont participé, mais cela ne se reproduit qu’une fois. Entendez par-là qu’en 2014, l’investissement et l’export n’ayant pas repris, la demande interne ne suffira pas. Le budget, pour sa part, a été expansionniste à outrance. Son déficit s’est accru entre 2010 et 2013 de 63%, soit de 9 milliards de dinars. Ceux-ci sont répartis entre 3 milliards pour les augmentations de salaires et 3,9 milliards de dinars ont comblé la Caisse de compensation, seulement 0,8 milliard de dinars est allé vers l’investissement et 1,2 milliard ont servis à des dépenses diverses non identifiées par le conférencier.
Le déficit budgétaire a pu être comblé en 2012 grâce aux dons, aux rentrées de la privatisation et aux produits des biens confisqués. Cette manne fait déjà défaut en 2013. Elle a été partiellement comblée par le prélèvement de 1,6 milliard de dollars sur le stock de sécurité issu de la vente de la licence de Tunisie Télécom.
En 2014, le pays sera dos au mur. Déjà que la BAD a fermé les vannes et que la Banque mondiale est sur ses gardes, selon les déclarations du ministre des Finances à son retour des Assemblées générales du FMI et de la BM.
Outre ce cadre délabré des finances publiques, MKN prévient de ne pas non plus se laisser tromper par le léger mieux sur le marché de l’emploi. Si le taux de chômage national, qui était de 13% en 2010, est passé à 19% en 2011, redescendu à 16% en 2012, celui des diplômés du supérieur a bondi de 23% avant la révolution à 33% en 2012. Il serait donc au double du taux de chômage national. Autant prévenir qu’il ne sera pas facile de le résorber demain. Il faut se dire que l’Etat, dès 2014, n’aura pas les moyens de le redresser car il sera privé de moyens.
Les choix difficiles : il faudra tailler dans la chair
L’Association est soucieuse de son statut de société savante, et le choix du conférencier s’est fait sur cette base. Le parcours du conférencier est resté proche des milieux universitaires. Ancien enseignant universitaire, ancien ministre du Développement, ancien directeur à la BM et ex-gouverneur de la BCT sous le premier gouvernement de transition), MKN a toujours cultivé une proximité avec les centres de recherche sur l’économie.
N’oublions pas qu’il a pu réunir en Tunisie les assises de l’Association internationale des économistes. En résumé, ses états de service sont constitués de faits d’expertise et non empreints de coloration idéologique. L’audit de MKN est d’une neutralité absolue.
D’ailleurs, nous déplorons qu’il ne prenne pas position. Quand il annonce que le dinar va encore se déprécier, faute d’afflux supplémentaire conséquent de ressources en devises, il ne fait que tirer des conséquences objectives. Quand il soutient que le gouvernement devra affronter de choix difficiles et qu’il sera obligé de tailler dans la chair en empruntant sur le marché local pour combler son déficit, occasionnant une éviction des opérateurs privés, ou réduire les salaires, là encore, c’est un résultat mécanique.
Pourquoi n’a-t-il rien dit de la politique monétaire suivie par son successeur? Pourquoi n’a-t-il pas évoqué une politique alternative, lui qui a travaillé avec le cabinet Caïd Essebsi lequel a élaboré le plan Jasmin? Mystère. Un audit sans valeur ajoutée, cela reste plat et académique. C’est regrettable.