La planification est jetée par-dessus bord. L’inflation surfe à son aise. Le dinar pique du nez et les déficits filent droit. L’économie est déboussolée et elle peut chavirer. La question est de savoir si c’est fortuit ou prémédité?
Pour la première fois depuis l’indépendance, le pays avance, à l’aveuglette, sans plan quinquennal de développement. A défaut de feuille de route et sans cap précis, le pays peut-il arriver à bon port?
Le “courroux“ du gouverneur
Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, a donné une conférence samedi 19 courant sur invitation de Radhi Meddeb, fondateur de l’ADS (Action et développement solidaire).
En liseur de prospective économique, Chedly Ayari est en colère car le pays présente une carence de planification. Il n’y a pas de plan quinquennal de développement. Forcément, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Fatalement, en l’absence de repères contraignants, l’économie est gérée de manière cavalière. Malgré tout cela, le gouverneur rappelle que le risque est quand même maîtrisé. En regrettant que la croissance se trouve pénalisée de cet allongement du processus de sortie de crise, il ne perd pas espoir.
Mais pour avoir mis le doigt sur le mal, quelles médications préconisées par le gouverneur?
Une description avec retenue, d’un tableau sombre…
Ne voulant pas jouer les Cassandre, le gouverneur a été soucieux de relativiser les contreperformances actuelles. Il sera précautionneux à l’extrême mais ses chiffres ont, hélas, trahi sa réserve. La croissance est mise à mal en cette année 2013. On a vu le gouverneur rallier, en début d’année, l’hypothèse d’un taux de croissance de 4,5% retenue pour l’établissement du budget.
On l’a vu se raviser à plusieurs reprises penchant pour des paliers de 4% puis 3,5%. Ce samedi, il a conjecturé que des suites des caprices de la crise politique laquelle a fait convulser le 3ème trimestre et fait prendre du retard au 4ème trimestre avec le décalage subi par le dialogue national, nous serons à moins de 3%.
De toute façon, nous nous situons dans la moyenne de la région, rassure-t-il. Mais la région MENA n’a jamais servi de zone de référence. Il faut dire que le gouverneur rentrait d’un séjour d’une semaine à Washington, où il s’est déplacé à l’occasion de la tenue des AG de la BM et du FMI, deux tribunes où les chiffres sont entourés d’une certaine clémence.
Quid de 2014? Il ne sera pas meilleur. Inchallah 2015 pourrait infléchir la tendance et établir le déclic. Mais c’est encore de la prospective brevetée SGDG**.
Bien entendu l’endettement ne doit pas être diabolisé. La dette de l’Etat libellée en devises se situe entre 35 et 40% de l’encours global. C’est, encore soutenable, voyons. Il reconnaît mezza voce que la dette en devises a servi à financer le budget, c’est-à-dire à consommer, mais dans une envolée lyrique, il rappelle que tout le temps que c’était fait avec l’intention de ranimer la croissance, mon Dieu tous les Etats, Amérique compris, y ont recouru.
Puis, l’inflation n’est pas une malédiction. C’est un stimulant de croissance, ah! La découverte. Il faut simplement convenir d’un tempo et d’un palier, et l’inflation sera domestiquée.
Les déficits jumeaux sont également traités avec expertise. Y a qu’à brider les importations. Il est quitte, pour sa part. Il a bien tenté d’encadrer le crédit à la consommation. Mais Mister Chedly n’a pas précisé pourquoi Dr Ayari a abandonné sa médication.
Et en conclusion, un grand bravo pour la résilience de l’économie tunisienne qui tient bon face à ce choc exogène qu’est la crise politique, hourrah.
Premier ministrable Chedly Ayari? Plus depuis ce samedi, car il a brûlé ses vaisseaux.
La gouvernance à la hussarde, fortuite ou préméditée
L’UTICA avait appelé les pouvoirs publics à décréter l’urgence économique au mois de décembre 2012 lors des Journées de l’entreprise de l’IACE. Hamadi Jebali, ancien Premier ministre, était accompagné cette fois là de Chedly Ayari. Et, c’est ce dernier qui avait pris sur lui de rétorquer arguant de ce que le reliquat d’un milliard de dinars du titre II de 2012 additionné aux 5 milliards de dinars de 2013 allaient doter l’Etat d’un trésor de guerre qui boosterait le dynamisme de l’économie. On connaît le résultat des courses.
Et, puis sur un autre plan, l’ex gouverneur et le gouverneur actuel ne semblent pas avoir la même grille de lecture de l’actualité économique. Kamel Nabli a dit à la tribune de l’ARTD* que le pays a grappillé les 3,6% de croissance en 2012 du fait du retour en activité des secteurs “sinistrés“, c’est-à-dire les phosphates et la chimie, le tourisme et enfin le pétrole. Et que ce sont là des éléments de fortune et que l’exploit ne se renouvellerait pas une deuxième fois.
Nous considérons qu’il était risqué d’accepter le taux de croissance de 4,5% pour 2013, car David Lipton, invité de la BCT en novembre 2012, nous avait dit que ce serait 3 à 3,2%, CQFD. Kamel Nabli a aussi rappelé que le déficit de 2012 a pu être couvert par les dons étrangers, mais également par les rentrées des biens confisqués et des produits des privatisations. Lui, a dit qu’en 2014 l’Etat sera en face de choix difficiles, tels par exemple le glissement marqué du dinar ou la baisse des salaires.
Lui, a mis en avant la bombe à retardement du déficit des entreprises publiques. Rien de tout cela ce samedi.
Que pensent les diplômés du supérieur qui subissent un taux de chômage de 32% de l’attitude châtiée du gouverneur? Que pensent les chefs d’entreprise de la progression de l’informel qui les dévore à pleines dents? De tout cela mystère.
A Washington, les gouverneurs étaient, selon Chedly Ayari, affamés de bonnes nouvelles pour se remettre à investir en Tunisie. C’était pareil en décembre 2012 où, de retour du Japon, le gouverneur affirmait que les investisseurs ne manqueraient pas de faire le déplacement.
L’opinion en Tunisie, pour sa part, est affamée de pouvoir d’achat et d’emploi. Quand l’inflation est à 6%, le caddie de 100 dinars ne pourra plus être garni que pour 94 dinars, c’est cela que ça veut dire une inflation à 6%.
Et puis, en matière d’inflation, la BCT a la partie belle. Promoteurs immobiliers, intermédiaires de marché de gros, et autres opérateurs de contrebande se chargent de la fixer à leur convenance.
L’ennui avec les experts est qu’ils se laissent doubler par la réalité. Et cela nous rappelle comment ce bon vieux lion de Churchill retoquait ses conseillers qui se croyaient trop malins. Le cher Winston leur servait sa taquinerie préférée “n’est-ce pas que le Titanic a été construit par des experts et l’arche de Noé par des amateurs!