Tunisie – Terrorisme : «Ali Larayedh n’a ni rassuré ni uni le peuple…»

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«Le discours prononcé par Ali Larayedh est anachronique. Il est complètement coupé des faits et du contexte. Il ignore les enjeux auxquels fait face aujourd’hui le pays. Il n’a pas rassuré, au contraire, il a discrédité le dialogue national et s’est discrédité lui-même devant l’opinion publique nationale et les partenaires internationaux de la Tunisie. Il a délibérément feint d’ignorer que la feuille de route ainsi que les résolutions mises sur la table par le quartet sont une exigence internationale. Elles tiennent au consensus mais pas seulement, elles tiennent à être rassurées sur la capacité d’Ali Larayedh à assumer les charges du pouvoir en étant appuyé par le peuple. La question qui se pose est “que pèse-t-il sur la balance pour être garant auprès d’elles de la réussite du processus transitionnel?“ Le chef du gouvernement n’a donné aucun espoir quant à un aboutissement positif du dialogue national».

La lecture est de Noureddine Ennaifer, expert en sécurité globale et professeur à l’Université Tunis El Manar.

Mais il n’est pas le seul à adopter ce raisonnement, les téléspectateurs avisés qui avaient attendu avec angoisse le discours du chef du gouvernement en ce mercredi 23 octobre et qui étaient assommés par la tragédie de l’assassinat de 7 jeunes gardes nationaux, ont tout de suite compris qu’ils n’étaient pas concernés par son discours, ils ne l’intéressaient pas. «A qui s’adressait-t-il? S’était demandé un confrère, journaliste dans une radio, à nous tous ses compatriotes? Ou à ses militants? Lorsque nous l’entendons prononcer les mots “préparez-vous“, nous avons la nette impression que c’est à ses frères et sœurs dans la “secte“ qu’il s’adresse et non à l’ensemble du peuple tunisien affligé par un nouveau deuil suite à la mort insensée de jeunes recrues attirés dans un guet-apens par des terroristes.

Qu’on ait tué nos jeunes à la fleur de l’âge, qu’on ait massacré soldats, gardes nationaux et police, ce n’était pas ce qui importait le plus pour le chef du gouvernement, le plus important était que la “mascarade“, qui n’a que trop duré, du dialogue national continue, que le gouvernement “légitime“ (sic) continue à exercer et que les constituants de la Troïka continuent à promulguer leurs lois.

Que la Tunisie devienne la Syrie, l’Irak ou encore le Liban, pourquoi s’en faire, puisque les légitimes sont là et qui plus est, leurs sympathisants militants osent défiler dans les avenues de la capitale appelant à protéger la légitimité. Alors même que leurs représentants au gouvernement n’ont pas su protéger la Tunisie et n’ont pas préservé les forces vives du pays, qu’il s’agisse des agents de l’ordre ou des agents économiques autant que les classes défavorisées. Pire, les armes ont inondé le pays au vu et au su de certains sourds et muets en poste au plus haut de la pyramide de l’Etat, tout comme la contrebande a inondé le marché ruinant l’économie et mettant en faillite nombre de PME/PMI.

«Que voulez-vous que je vous dise, déplore Tarak Chérif, président de la CONECT, ce qui s’est passé hier à Sidi Bouzid aggravera une situation économique déjà fragilisée. Ceux qui pensaient réellement reprendre leurs investissements sur la Tunisie commenceront à revoir leurs orientations, ceux qui étaient hésitants annuleront et ainsi de suite. Et c’est tout à fait normal, lorsque nous vivons une ambiance aussi délétère. L’économie a besoin de clarté, de visibilité de décisions tranchantes, de stabilité et de sécurité. De Barcelone où je participe à une rencontre économique, on me demande ce qui se passe et comment vont évoluer les choses en Tunisie, et je n’ai pas de réponse. L’explication est simple, nous ne pouvons plus nous fier aux déclarations/contre déclarations et aux échéances qui finissent toujours par être renvoyées aux calendes grecques. Les investisseurs, les institutions financières internationales ont besoin de certitudes et non de promesses qu’on ne respecte pas. Malheureusement dans le contexte actuel aussi bien notre moral que nos décisions sont affectés».

L’UTICA, qui a condamné les actes terroristes de Gbollat et de Sidi Bouzid, espère encore en une issue favorable du dialogue, quoique et d’après Noureddine Ennaifer, Ali Larayedh a montré clairement dans son discours qu’il ne céderait pas aux pressions. «Ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir sont-ils conscients qu’ils sont incapables de gérer l’instant et que leur crédit à l’international n’est plus ce qu’il était lorsqu’on les soutenait pour tenir les rênes du pays? Réalisent-ils qu’ils sont en train de perdre la confiance qui leur a été léguée par leurs électeurs en octobre 2011?

En fait, s’agit-il d’inconscience ou plutôt d’un agenda que les artisans du moment sont en train de suivre à la lettre?

A revoir chronologiquement les événements de la journée du 23, nous sommes en droit de nous poser nombre de questions. Tout d’abord, le chef du gouvernement a commencé par aviser les médias qu’il allait annoncer sa position concernant le démarrage réel du Dialogue national à 11h, ensuite il a reporté sa conférence à 14h30 et s’est enfin annoncé vers le coup de 19h30 pour, en substance, dire: l’heure est grave, nous nous engageons sur le principe énoncé sur la feuille de route, il a refusé de prononcer le mot «démissionner», le mot n’arrivait pas à sortir de sa bouche, et a prétexté les contraintes sécuritaires pour ne pas répondre aux questions.

Ali Larayedh, qui n’a même pas pu convaincre ses compatriotes de la cohérence, du sérieux et de la justesse de ses positions, réussira-t-il à en convaincre les chancelleries étrangères et les bailleurs de fonds internationaux? «J’en serais très surpris, répond Noureddine Ennaifer, car nous ne sommes pas sûrs de nous maintenir dans le positionnement actuel aux échelles sécuritaires et économiques. Nous pourrions être de nouveau déclassés. Les enjeux auxquels fait face aujourd’hui la Tunisie sont le maintien de l’Etat et la préservation de l’unité nationale. Si aujourd’hui, les gouvernorats du Kef, de Sidi Bouzid ont proclamé des grèves générales sans même en référer à l’UGTT, nous pourrions nous attendre à ce qu’ils aillent jusqu’à annoncer leur autonomie du pouvoir central dans lequel ils ont perdu confiance. C’est ce que n’a malheureusement pas compris Ali Larayedh ou ce qu’il a refusé de comprendre. Son discours n’a pas uni, n’a pas rassuré, n’a pas sécurisé, et ceci est valable aussi bien pour le peuple que pour ses enfants dans les forces sécuritaires».