Affaire Banque Franco-Tunisienne : Les dessous du revirement de l’Etat (3 et fin)

tunisie_BFT-320.jpgLa décision du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) –relevant de la Banque mondiale- en février 2011 de se déclarer compétent dans le litige opposant l’Etat tunisien à la société ABCI à propos de la Banque Franco-Tunisienne (BFT) a marqué un tournant fort important dans une affaire qui traînait alors depuis près de trente ans.

Convaincu des retombées potentiellement et sûrement négatives pour la Tunisie de cette décision –qui rapprochait, pour la première fois, le tribunal arbitral relevant de la Banque mondiale du moment de vérité, à savoir la sentence sur le fond du litige-, le gouvernement Béji Caïd Essebsi avait pris les devants et proposé à la partie adverse d’engager des négociations en vue de conclure un règlement amiable et éviter ainsi une sentence arbitrale qui ne pouvait qu’être défavorable à l’Etat tunisien.

Présentée par les deux parties, cette demande a été acceptée par le CIRDI en avril 2011. Mais jusqu’au départ du deuxième gouvernement de transition en décembre 2011, aucun progrès n’est enregistré dans la recherche d’une solution négociée.

Le blocage se poursuit au début avec le gouvernement suivant, puis les choses commencent à se débloquer un petit peu. La véritable percée se produit finalement en août 2012 lorsque les deux parties concluent le fameux accord-cadre définissant les principes et les objectifs du règlement négocié recherché.

Lasses, les deux parties n’iront pas plus loin après avoir été à deux doigts de mettre fin à ce litige, puisque la partie tunisienne va progressivement se rétracter jusqu’à dénoncer l’accord-cadre. Que s’est-il passé dans les coulisses pour que le gouvernement actuel -et l’Etat d’une façon générale- opère un virage à 180°?

Les données disponibles donnent à penser que plusieurs groupes et forces se sont probablement mobilisées et ont combiné leurs efforts pour provoquer la remise en cause de l’accord du 31 août 2012 et de sa disposition la plus importante, à savoir l’audit de la Banque Franco-Tunisienne.

Le premier de ces groupes/forces est constitué de tout ou partie des dirigeants les plus importants –et pas seulement les directeurs généraux- qui ont tenu les commandes de la BFT et des responsables de la supervision bancaire au cours des trente dernières années et dont la responsabilité dans la dérive de la BFT.

En effet, il faudra bien expliquer –et c’est que l’audit devait faire et déterminer- comment –et par qui- ont été accordés depuis 1989 près de 550 millions de crédits sans garantie, mettant petit-à-petit en péril une banque –dont les pertes estimées de source officielle à plusieurs milliards de dinars, auxquels s’ajoute plus d’un million de dinars par mois- qui n’échappe jusqu’ici à la faillite que parce que maintenue sous perfusion par la BCT et les banques de la place.

Expliquer également pourquoi –par négligence, connivence ou peur?- les responsables de la supervision bancaire n’ont pas réagi pour arrêter la dérive et remettre la BFT sur le droit chemin.

Tout ou partie des responsables –au ministère des Finances, à la BCT, au Contentieux de l’Etat, au gouvernement et à la présidence de la République- ayant géré le dossier sous Ben Ali s’inquiète peut-être aussi de devoir un jour rendre des comptes pour leur gestion passée et feraient tout pour éviter le grand déballage qui ne manquera de se produire à l’occasion de l’audit.

De possibles adversaires d’un règlement amiable du litige de la BFT se trouvent probablement aussi parmi les personnes et entreprises ayant contracté des crédits sans la moindre garantie et qui voudraient bien éviter de les rembourser.

L’échec des négociations en vue d’un règlement amiable fait certainement le bonheur de tout ce beau monde. Mais fera le malheur de la Tunisie et plus particulièrement de l’Etat –donc du contribuable- qui devra tôt ou tard payer la facture d’une gestion calamiteuse d’une affaire qu’un peu de courage et de bon sens aurait pu permettre de clore dans de bien meilleures conditions.

M.M.