Pendant des décennies, la vénérable opposition de la Tunisie postcoloniale ainsi que les honorables défenseurs des droits de l’Homme nous ont fait croire qu’ils ne pouvaient réellement agir parce qu’ils étaient brimés par les régimes successifs Bourguiba/Ben Ali, et parce que la liberté d’expression était bridée par leurs mesures répressives.
Au vu de ce qui se passe sur la scène politique aujourd’hui, force est de constater que si les régimes cités plus haut ont une certaine responsabilité dans l’incapacité du pays à engendrer d’une alternative politique et économique acceptable, ceux qui se sont engagés dans l’opposition «professionnelle» manquent aussi bien d’idées que d’imagination, ne possèdent pas un projet de société, sont incapables de donner de l’espoir au peuple et encore moins d’assurer la continuité de l’Etat. Depuis trois ans, nous avons assisté impuissants à un exercice révoltant de manœuvres politiciennes de la part d’une opposition passée de la critique systématique à celle de la compromission.
Parmi les forces politiques existantes, seule Ennahdha sait où elle va et vers où elle compte mener le pays, et surtout affiche sans retenue sa possession du pouvoir. Lorsque Ghannouchi déclare clairement que les Nahdahouis lâchent le gouvernement et non le pouvoir, il veut aussi dire qu’il garde sa majorité à la Constituante qui continuera à voter les lois et à contrôler l’action du gouvernement. Si Majliss Al Choura l’exige et si le prochain gouvernement lui déplaît, il pourrait au besoin exiger sa démission. Un gouvernement à la tête duquel Ennahdha proposerait un ancien allié, en la personne d’Ahmed Mestiri.
Le leadership politique «démocratique», dans sa grande majorité, est pour sa part incapable, aujourd’hui, de faire le bon casting pour le futur chef de gouvernement, occupé qu’il est à calculer ses actions/réactions et à réorganiser ses rangs dispersés. Le gap entre les leaders et les bases est de plus en plus profond et ses alliances, sous la table, avec la Troïka valent beaucoup plus que ses accords rendus publics. La Troïka se nourrit et se renforce non seulement de la division, de l’indécision, du manque d’audace et de cran de la classe politique qui se prétend opposante mais aussi de ses compromissions et de sa frilosité.
Dans pareil contexte, l’on ne peut s’étonner de voir Rached Ghannouchi et son parti sortir le grand jeu et prétendre qu’ils font des concessions alors même qu’ils ont perdu les batailles aussi bien économiques que socioculturelles.
La Tunisie, qui a consacré le tiers de son budget à l’orée de son indépendance à l’enseignement, est aujourd’hui incapable de s’offrir le bon chef à la bonne place, vaut mieux en rire qu’en pleurer ou comme le dit bien ce dicton de chez nous, «kothr el Ham idhahak»!
A notre avis, entendre des noms comme ceux de Ahmed El Mestiri, Mansour Moalla, Chedly Ayari ou encore Jalloul Ayed relève d’un manque réel d’appréciation de la situation actuelle du pays.
Tout d’abord, relevons que l’âge des premiers dépasse les 85 ans pour un poste qui nécessite un effort physique d’au moins 14 heures d’affilé de travail, sans oublier que la Tunisie n’est plus le pays de la veille de l’indépendance et que dans l’état actuel du pays, il va falloir chercher une personne, plus au fait des choses et des gens.
Le choix porté par les partis sur des octogénaires exprime-t-il une volonté délibérée de leur part de s’assurer que ces personnes quitteraient le navire au bout d’une année, n’ont aucune ambition de se présenter aux élections et offrent aux Tunisiens l’image rassurante du père, même si, dans la réalité, inaptes à gérer au mieux les affaires d’un pays en bute à nombre de difficultés de tout ordre? A ce train-là, autant reformer le gouvernement Bourguiba, les disparus en moins, et inviter Ahmed Ben Salah à revisiter l’expérience collectiviste qu’il n’a pas réussi du temps du premier président de la Tunisie!
Sur les réseaux sociaux, les railleries ont éclaté de toutes parts exprimant le désespoir de pans de la population tunisienne face à l’incompétence de la classe politique actuelle. Nombreux sont ceux qui sont allés jusqu’à former un gouvernement représentatif de toutes les époques de l’histoire du pays.
L’opposition tunisienne écartelée patauge encore et chacune de ses composantes, faute de se projeter en tant qu’alternative et de s’auto-organiser, se discrédite et peine à avoir le blanc-seing d’un peuple qui perd de plus en plus confiance en toute sa classe politique, Troïka comprise. Un peuple qui ressent de plus en plus de la nostalgie pour ses anciens gouvernants qu’on prétendait pourtant ses anciens bourreaux.
Quant au dialogue ou à la concertation nationale, eh bien, ils risquent fort probablement d’avorter à cause de la fausse bonne signature par Ennahdha de la feuille de route, laquelle, quoique puissent dire ses dirigeants, toutes mouvances confondues, ne se séparera pas de sitôt d’un pouvoir ambitionné depuis longtemps.
En conclusion, Ennahdha tolérerait-elle un chef de gouvernement qui risquerait de mettre en péril son projet de faire main basse sur la Tunisie? Rien n’est moins sûr!
“Les endroits les plus sombres de l’enfer sont réservés aux indécis qui restent neutres en temps de crise morale” prédit Dan Brown, le célèbre auteur de Da Vinci code dans son dernier ouvrage intitulé Inferno. En Tunisie, la majorité silencieuse maintient le statut quo de la neutralité et l’opposition souffre d’une mollesse des positions qui devient de plus en plus insupportable pour un peuple à al recherche de l’homme providentiel!