Les Tunisiens sont en état de choc. La Tunisie fait la Une des médias du monde entier. La Bourse plonge et l’agence de notation Fitch rating dégrade la note du pays et le place dans la même catégorie que le Lesotho ou le Sri Lanka.
De son côté, l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), via son directeur général Habib Ammar, annonce que le ministère du Tourisme «constituera une cellule de crise chargée de prendre les décisions nécessaires après l’attentat-suicide perpétré, mercredi matin, à Sousse». Good job! Finalement! Ne vous donnez pas toute cette peine ou encore, pourquoi vous déranger, serions-nous tentés de rétorquer?
Faut-il en rire, en pleurer, s’étonner ou juste se féliciter du réveil du coma végétatif dans lequel est plongé le département de tutelle?
Des assassinats, des touristes pris à parti, des voyageurs agressés, des structures hôtelières (hors zones touristiques) cassées ou incendiées, un viol, des discours haineux, un secteur pointé du doigt et diabolisé… Nous ne comptons plus les incidents et alertes, faux pas et machinations pour nuire au tourisme et casser son rôle de pilier pour le pays et son économie.
Cela fait des mois et des semaines que les intervenants, (professionnels, administration et politiques) se caressent dans le sens du poil, se mentent, s’auto-congratulent de résultats «acceptables» et se targuent qu’aucun touriste n’a été touché ni qu’aucune structure touristique n’a été détruite. Alors que les incidents liés à la situation sécuritaro-politique dans le pays prévoyaient une montée en puissance et en impact et auguraient des jours très difficiles au tourisme tunisien, nous savions ce dernier une cible; la cible. Seules les questions de quand et comment se posaient. L’ignorer ou feindre de l’ignorer est, au moins, de l’indifférence saupoudrée d’incompétence, au pire, criminelle et coupable car cela revient à tuer, autrement que par les bombes, un secteur qui fait vivre deux millions de Tunisiens.
Un secteur incapable d’anticiper…
Cela fait des semaines, des mois et des années que la direction du tourisme tunisien a montré son incapacité à réagir et à agir. Elle subit, avale, boit la tasse et coule sans pouvoir anticiper ni résister aux coups qu’on lui assène.
Une administration qui s’auto-flagelle est-elle capable de contre-communiquer et de gérer une phase aussi vitale que traverse le secteur? Une administration qui «constituera» une cellule de crise, alors que tous les indices annonciateurs de catastrophe sont en place depuis des semaines, des trimestres, des semestres, des années, est soit incohérente, incapable ou juste irresponsable, à moins qu’elle ne soit les trois à la fois.
Comment ne pas avoir sa batterie de mesures prêtes, de cabinets à l’international dans les «starting block», d’actions en cascade prévues pour absorber, amoindrir, occuper le terrain, expliquer, rassurer? Une administration qui n’a rien prévu, qui se terre dans un silence, et qui nous annonce qu’elle «constituera» une cellule de crise, lâche ses propres soldats à l’étranger se débattre face à des médias internationaux à l’affût d’informations, est-elle encore en droit de défendre un secteur dont elle se désolidarise?
Les enfants de Ghannouchi…
Il va de soit que l’on pourrait focaliser sur les politiques qui sont bien entendu les premiers responsables de cette débâcle. On pourrait commencer par penser aux «enfants» de Rached Ghannouchi et aux «habitants qui ne descendent pas de Mars» mais nous conduisent en enfer. Nous pourrions ironiser sur la vice-présidente de l’ANC, qui prenait la défense d’un salafiste venu déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de Bourguiba alors qu’il voulait y porter atteinte, et nous souvenir de Wajdi Ghohein sur les plages de Hammamet.
Nous pourrions penser à Abou Yarrib El Marzouki et sa comparaison du tourisme à «la prostitution» ou encore à Mohamed Moncef Marzouki et son rôle de libérateur d’assassins en puissance et de ses dérapages linguistiques ou diplomatiques.
Comment ne pas mentionner le déni dont est atteint le chef du gouvernement Ali Larayedh et qui déclarait triomphalement avoir vaincu le terrorisme et lançait le terro-tourisme en prenant la défense de ceux qui “font du sport dans les montagnes“?
Nous pourrions aussi porter le regard vers les professionnels qui sont les fossoyeurs de leur propre secteur. Amputés, ils sont juste bons à quémander, pleurnicher ou attendre un miracle de la part d’une tutelle qu’ils savent sclérosée. Désolidarisée, la profession pâtit de son incapacité à travailler ensemble et reste prisonnière d’elle-même et de son rapport infernal avec l’administration.
Le tourisme détient le record de la valse des ministres
Depuis la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011, les ministres du Tourisme se sont succédé les uns après les autres. Le tourisme détient le record de la valse des ministres tous départements gouvernementaux confondus. Signe que ce secteur use et qu’il n’arrive toujours pas à trouver chaussure à son pied.
Pour ne citer que ceux de la transition, commençons par Mehdi Haoues, ministre des gouvernements de transition Ghannouchi et Caid Essebsi et qui a mis le tourisme à son service personnel et à celui du marché français en exclusivité.
Arrive ensuite Elyes Fakhfakh au lendemain du 23 octobre pour ne plus mettre le tourisme qu’au service de ses ambitions et image. Il laissera un cadavre et sera remercié pour son bilan catastrophique par un ministère de la plus haute importance.
Jamel Gamra, pour sa part, arrive en planeur ou en parachute. Son attitude lisse manque d’ambition et à force de faire le dos rond et laisser tout glisser, son laisser-faire porte vers le tout pourrir.
La mention particulière de ce bilan dramatique serait incomplète sans attribuer la palme à Habib Ammar, directeur général de l’ONTT, dont le plus gros du bilan est d’avoir eu la peau de tous les ministres de cette transition. Bras armé du tourisme tunisien, celui-ci est plombé par un attentisme malsain et un laisser-aller béat.
Les troupes sont alors démobilisées, démotivées, castrées. Un gâchis incommensurable quand on sait le potentiel des hommes et des femmes agissant dans le secteur. A force de dépit et de mépris, même la société civile -qui s’est engouffrée au lendemain de la révolution dans le soutien et la promotion du tourisme- s’est désenchantée.
Jours difficiles pour le secteur…
La question touristique est à nouveau sous les feux de l’actualité brutale qui augure des jours encore plus difficiles à venir.
Finira-t-on par comprendre un jour que mettre de la poudre aux yeux finit aussi par aveugler celui qui les propage? Quand cessera-t-on de primer l’échec? Quand cessera-t-on d’accepter les compromis au point de tomber dans la compromission? Le tourisme tunisien n’en finit pas de payer une lourde facture aux opportunismes puants, à la guerre des clans et des privilèges malodorants.
Au lendemain du 17/14, le tourisme était au cœur de toutes les aspirations et initiatives, il est désormais abandonné par ses propres soldats. Fort heureusement et à l’image de l’attentat de Sousse et de la mobilisation des forces de sécurité nationales et privées, le pire a été évité. Mais pour combien de temps?
En attendant, la reconstruction du secteur se fera assurément par les propres enfants du secteur : administration, privé et ceux-là même qui, tous les jours, nourrissent leurs enfants d’un secteur orphelin et sauront rebâtir au temps opportun. Aujourd’hui même la société civile de Sousse appelle à une baignade gigantesque où les terroristes ont voulu semer la mort. Un peu comme pour beaucoup laver le sort et un peu nettoyer un linge trop sale.