«La Tunisie risque effectivement une crise systémique», a déclaré Jalloul Ayed, ancien ministre des Finances, mercredi 30 octobre à l’occasion de la présentation par la BAD du Rapport 2013 sur l’Afrique du Nord: «Croissance résiliente et intégration en Afrique du Nord».
Dans son rapport, le Groupe de la Banque africaine de développement a rappelé l’importance de l’Afrique du Nord dans le continent. «C’est la région la plus importante en Afrique de par ses richesses naturelles et en ressources humaine et sa position géostratégique», a indiqué Zondo Sakala, vice-président de la BAD dans son allocution d’ouverture.
Il a également assuré que la BAD soutiendra la phase transitionnelle par laquelle passe la Tunisie, rappelant les aides et les prêts qu’elle n’a cessé de lui dispenser depuis 1968.
Vincent Castel, auteur du rapport, a pour sa part attiré l’attention sur l’importance des modes de gouvernance efficients pour la région en insistant sur la nécessité de mettre en place des stratégies à moyen terme et non de réagir au cas par cas sous l’effet de l’urgence.
Quatre crises en 4 ans: alimentaire, financière, économique et enfin celle faisant suite au déclenchement du printemps arabe. Elles ont permis d’évaluer la capacité de résilience des économies de la région et de formuler des propositions visant à envisager les solutions adéquates pour régler les questions se rapportant à l’incapacité des politiques publiques, apporter des réponses aux crises, contourner les obstacles et absorber les chocs.
Parmi les axes les plus importants traités dans le rapport, l’économie politique et la sécurité alimentaire en Afrique ainsi que l’intégration économique du Maghreb.
La crise européenne pèse sur les économies de la région, a rappelé Vincent Castel. A titre d’exemple, la Tunisie dépend à hauteur de 73% de l’Europe dans le secteur du commerce, 85% au niveau du tourisme, 88% pour ce qui est de l’envoi de fonds des migrants à leur pays d’origine et 58% en matière d’IDE.
La BAD dénonce dans son rapport la vulnérabilité structurelle des économies de la région nord-africaine et surtout leur manière de gérer leurs politiques économiques. «A chaque fois, on réagit aux crises par des solutions de “très court-termiste“. Ainsi, on pratique le stimulus fiscal, on augmente les subventions alimentaires et l’énergie, on procède à des allègements fiscaux et on recourt au recrutement massif dans le secteur public ainsi qu’à la hausse des salaires. Le fait est que les appuis prônés par les Etats bénéficient plus aux grandes entreprises qu’aux PME et aggravent l’écart entre les secteurs informel et formel».
Pour remédier à toutes ces carences, les institutions publiques doivent devenir davantage inclusives et réactives, il faut mettre en œuvre des politiques monétaires et budgétaires prudentes mais sans en faire un objectif inconditionnel, revisiter les politiques et programmes sociaux pour mieux les cibler, sans oublier de réformer les systèmes éducatifs. Il est également indispensable de diversifier les partenaires commerciaux et financiers tout en appuyant les PME et encourager les investissements dans l’agriculture et les énergies alternatives.
«Il faut reconnaître que la politique économique de la Tunisie pèche par le peu d’importance qu’elle accorde aux PME/TPE qui forment près de 98% du tissu entrepreneurial dans le pays et couvrent 70% des emplois. Nous avons 350.000 TPE, et je suis sûr que dans le secteur informel, ce chiffre est triplé. La question qui se pose est de savoir quel est le meilleur moyen de ramener ces entreprises dans le secteur formel, d’autant plus qu’elles sont créatrices de postes de travail. Quant à la compensation, elle dévore le budget de l’Etat avec 7 milliards de dinars investis», a tenu à préciser Jalloul Ayed.
En l’espace de deux années, la Tunisie n’a même pas investi le tiers du budget consacré au développement. C’est trop peu et cela explique les raisons pour lesquelles on a la peine à mettre en place les projets structurants qui peuvent consolider les ressources de l’Etat. Pour y remédier, ce sont des recrutements intensifs dans les établissements publics qui ont prévalu dans la politique gouvernementale actuelle. Un recours dénoncé par la BAD dans son rapport.
Rappelons que la Tunisie est le second pays après le Maroc à avoir bénéficié des fonds de la Banque africaine de développement (27%). 106 opérations de financement y ont été approuvés pour un total net de 4,58 billons de dollars.
Toutefois, toutes les aides dont peut bénéficier la Tunisie ne pourraient avoir un réel impact sur le développement économique si «les problèmes sécuritaires et ceux du terrorisme ne sont pas résolus et si le gouvernement, quel qu’il soit, n’a ni vision ni projet», estime Douja Gharbi, vice-présidente de la CONECT, et panéliste aux côtés de Chedly Ayari lors de la présentation du rapport.