«Candidaté» par l’UTICA pour le poste de chef du gouvernement, ce polytechnicien –fondateur/pdg de Comete Engineering et président de l’Association Action et développement solidaire (ADS)- n’a pas été retenu sur la short-list des personnalités demeurées en course. A Webmanagercenter il a confié les réflexions que lui a inspirées cette expérience.
WMC: Vous étiez parmi les 8 personnalités dont la candidature au poste de chef du gouvernement a été présentée initialement par différentes organisations et/ou partis politiques. Mais votre nom n’a pas figuré sur la short-list établie par la suite. Au-delà de la déception que vous avez dû ressentir, que vous inspire votre disqualification et surtout la justification avancée, en l’occurrence l’absence dans votre parcours d’une expérience de la chose étatique?
Radhi Meddeb: J’ai découvert, comme beaucoup de gens que mon nom circulait dans le public, que certains organes de presse m’annonçaient très tôt comme faisant partie d’un trio finaliste, et ce avant même que le dialogue national ne soit réellement engagé. À aucun moment je n’étais certain de la réalité de la chose. En l’absence d’une communication officielle et transparente de la commission du processus gouvernemental, il était difficile de distinguer l’info de l’intox.
Cela dit, j’ai été quand même surpris de l’argument qui a été invoqué à mon encontre à un moment avancé du processus pour m’écarter et cela m’a inspiré plusieurs réflexions.
D’abord que les critères de choix du chef de gouvernement n’étaient pas établis avant de commencer le dépouillement des candidatures. Ce qui fait relever l’ensemble du processus soit de l’amateurisme le plus total, soit du vaudeville grotesque. Imaginez un match de football où l’arbitre change de règle du jeu en plein déroulement de la partie!
Ensuite, souvenons-nous de ce qui était réclamé par l’opposition au départ et confirmé par l’initiative du Quartet: un gouvernement de compétences, avec un président indépendant des partis politiques. Face à cela, Ennahdha n’a jamais accepté un tel schéma. L’immense concession qu’elle faisait était d’accepter un gouvernement d’union nationale avec un objectif réduit, celui d’organiser les élections dans un délai très court. Le fait d’exiger du candidat à la présidence du gouvernement d’avoir une expérience de ministre est une acceptation tacite par l’opposition et le Quartet de la position d’Ennahdha.
Par ailleurs, reprocher à quelqu’un qui a toujours refusé la moindre compromission de faire partie d’un quelconque gouvernement dont il ne partage pas la vision, le programme et les valeurs est un comble. Mais il s’agit là d’un problème culturel profond. Nous étions très peu dans cette longue short liste à ne pas avoir fricoté d’une manière ou d’une autre avec le régime déchu.
Je voudrais enfin dénoncer avec force la confusion qui a été faite entre Homme d’État et ancien ministre. Dépourvu d’expérience gouvernementale en 1956, Bourguiba n’aurait donc pas été Homme d’État? Idem pour le président François Hollande avant son élection à l’Élysée?
Moralité : Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de rage!
Je terminerai par avouer l’absence de toute déception. Je ne m’étais pas porté candidat. Je n’avais pas fait campagne.
Que pensez-vous de la manière dont ce processus de sélection a été organisé et mené?
Encore une fois, la Tunisie a raté une belle occasion de montrer au monde sa maturité politique. Au lieu de s’apparenter à une «Star Academy», avec un jury statuant sur des «talents» en leur absence, nous aurions pu profiter de l’occasion pour organiser des débats sérieux entre candidats sur les questions majeures de l’heure: la sécurité, le terrorisme, l’emploi, le développement régional, l’investissement, la Caisse générale de compensation, la réforme du secteur bancaire, celle du secteur touristique, l’équilibre des caisses de retraite et de prévoyance, le nouveau contrat social et j’en passe.
Cela aurait mis au clair les compétences des uns et des autres, leur sensibilité aurait évité de donner un chèque en blanc à un candidat dont les seuls mérites auraient été l’âge avancé, la proximité de tel ou tel courant politique ou encore l’expérience gouvernementale acquise dans des conditions douteuses.
Cela aurait évité les atteintes à la dignité de tel ou tel candidat en le jugeant sur sa stricte compétence et non sur des supputations sur ses capacités physiques ou mentales.
Le fait que les Tunisiens âgés de trente ans au maximum représentent plus de 50% de la population et que la classe politique soit, quant à elle, composée dans son écrasante majorité de personnes de plus de 50 ans est-il anodin et sans conséquence pour le pays?
La question de l’âge des représentants politiques, que cela soit au niveau des partis ou des instances du pouvoir est fondamentale. Elle traduit la non adéquation de la représentation politique à la réalité de la société et recèle nécessairement à partir de là des distorsions potentielles et des incompréhensions probables, le risque étant l’approfondissement du gap entre la classe politique et la société réelle.
Dans les grandes démocraties, qu’elles soient anciennes ou récentes, les premiers responsables exécutifs accèdent à la charge suprême autour de quarante ans et quittent le pouvoir autour de cinquante ans.
Je prendrai là deux exemples: l’Espagne et la Grande-Bretagne. Depuis plus de vingt ans, les Premiers ministres qui se sont succédé au pouvoir systématiquement à moins de cinquante ans et l’ont quitté à moins de soixante ans. Parmi les plus jeunes et non les moins brillants: Felipe Gonzalez a accédé à la primature à 40 ans et s’y est maintenu jusqu’à 56 ans; José Maria Aznar à 43 ans, Tony Blair à 44 ans, idem pour Cameron ou encore Adolfo Suarez. Les plus âgés au moment de leur accession au pouvoir suprême étant: Rajoy et Gordon Brown, à 56 ans. En Tunisie, ils auraient fait figure de bébés parmi nos aînés.
La différence est encore plus choquante quand on sait que l’âge médian (celui qui sépare la population en deux parties égales) est inférieur à 30 ans en Tunisie et qu’il est de 40 ans en Grande-Bretagne ou en Espagne.
Cette accaparation du pouvoir par les représentants du quatrième âge est contraire à la raison mais aussi à nos traditions.
Souvenons-nous qu’aucun lauréat de la médaille Fields, équivalent du prix Nobel en mathématiques, ne l’a reçue à plus de 40 ans!
Quelles leçons tirez-vous pour le pays de cette expérience de sélection d’un nouveau chef du gouvernement?
La démarche est exceptionnelle en Tunisie. Jamais la désignation d’un chef de gouvernement n’a fait jusque-là l’objet d’un débat public. À ce titre, il convient de saluer l’expérience, malgré toutes ses limites et ses imperfections, comme une étape supplémentaire sur la voie, certes erratique par moments, de la construction démocratique et de la recherche du nécessaire consensus.
Cette démarche aurait pu gagner en crédibilité, en sincérité et en transparence en poussant la logique du recrutement jusqu’au bout, en organisant des débats publics entre candidats et en acceptant d’en prendre la population à témoin.
Quelles que soient ces insuffisances, il est important que le processus en cours débouche et au plus vite sur la désignation de notre futur chef de gouvernement. Peu importe le candidat qui sera retenu à la fin. L’essentiel est que la Tunisie se sorte, sans délai supplémentaire, de cette grave crise politique qui la secoue depuis plus de 100 jours.
Il est urgent que la classe politique, dans ses différentes composantes, prenne la mesure de la triple dégradation de la situation de la Tunisie (sécuritaire, économique et sociale) et qu’elle mette l’intérêt national au-dessus de toutes les considérations personnelles et partisanes. Tout est devenu malheureusement prisonnier du politique et il est urgent que l’on s’en sorte.