Le désamiantage, bombe à retardement financière pour les HLM

cc0a5571412ab0f983d8c1657ad7daf39e763964.jpg
ésamiantage du campus universiatire de Jussieu à Paris. (Photo : Jean Ayissi)

[15/11/2013 09:11:50] Paris (AFP) Sept logements HLM sur dix contiennent de l’amiante. Si cela n’est pas nécessairement problématique pour la santé des locataires, cette situation est une bombe à retardement financière pour les bailleurs sociaux, contraints de mettre leurs bâtiments aux normes.

Une réforme de la réglementation concernant ce matériau hautement cancérigène, à l’entrée en vigueur progressive d’ici le 1er juillet 2015, a fait bondir le coût d’assainissement des bâtiments concernés.

Elle divise par dix le seuil d’exposition autorisée pour les ouvriers et impose aux entreprises des obligations de formation et de protection renforcée (calfeutrage des chantiers, port de masques et vêtements de protection…) lors de travaux susceptibles de libérer des fibres d’amiante.

Et ce, que l’amiante soit à l’état friable – très dangereuse, car susceptible de se déliter sous l’effet de chocs, de vibrations ou de mouvement d’air – ou non friable – a priori sans danger, tant qu’elle est emprisonnée dans des matériaux.

Le champ des travaux concernés s’en trouve considérablement élargi, car on estime qu’un logement sur deux en contient en France.

“Ce qu’on découvre, même si c’était connu, c’est qu’à une certaine époque on en a mis vraiment partout. Plus on en cherche, plus on en trouve”, souligne Gilles Gal, directeur général du bailleur social Eure Habitat.

“A une époque, l’amiante semblait +magique+, car elle rendait beaucoup de matériaux plus souples, plus étanches”, note-t-il.

“Il y a d’abord eu les matériaux les plus connus: toiles éternit, tuyaux en fibro-ciment, flocages. Mais on en trouve aussi dans des colles de dalles de sols ou de céramiques, des joints, des enduits, sous des éviers…”, énumère-t-il.

Des “enjeux colossaux”

Dans le parc HLM, l’amiante au sein des matériaux de construction serait présente dans “tous les logements construits avant 1997” (date de son interdiction, ndlr), précise Christophe Boucaux, en charge des questions énergétiques et du développement durable à l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui regroupe 760 organismes HLM.

“Cela représente à peu près 70% de notre parc”, indique-t-il. “Cela impose d’avoir des dispositifs adaptés lorsqu’on engage des travaux de rénovation ou de démolition, y compris des travaux d’entretien courant, comme le percement d’une cloison ou l’enlèvement d’anciennes peintures”.

“Tous les organismes HLM aujourd’hui sont mobilisés sur cette question, parce que les enjeux sont colossaux”, souligne M. Boucaux.

Or les laboratoires réalisant les diagnostics d’amiante, peu nombreux, sont souvent débordés.

“Là où ils devraient livrer leurs analyses en deux semaines, ils mettent trois mois”, rapporte M. Gal.

503ebf3b13ec255e597a5d6c447c1148555af84c.jpg
isolation. (Photo : Jean-Pierre Muller)

Et les entreprises du bâtiment habilitées à retirer l’amiante ne sont pas légion, entraînant des situations de monopole qui font encore grimper les coûts.

“On a des entreprises qualifiées qui ont vraiment l’expertise et savent comment gérer ces chantiers en toute sécurité pour leurs salariés et l’environnement. Mais elles sont parfois +surbookées+”, rapporte Thierry Dauchelle, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) Champagne-Ardenne.

En outre, la présence d’amiante est souvent détectée tardivement.

“Lorsque le maître d’ouvrage n’a pas anticipé le problème, il faut procéder à de nouveaux appels d’offres et le chantier peut prendre un an de retard”, poursuit M. Dauchelle, qui évoque toutefois un “vrai dialogue” sur le sujet entre tous les intervenants.

Mais parfois les entrepreneurs doivent “se battre pour que le désamiantage soit fait: certains donneurs d’ordres ont tendance à vouloir enfermer l’amiante en la recouvrant, mais cela revient à léguer le problème à nos enfants. Or, la retirer valorise le patrimoine”, fait valoir M. Dauchelle.

Ces derniers mois, pour les bailleurs sociaux, la découverte d’amiante a entraîné l’abandon d’une opération de travaux sur quatre, en raison des surcoûts induits et de la nécessité de reloger les habitants temporairement, selon une étude de l’USH menée de décembre 2012 à fevrier 2013.

“A Louviers, dans le quartier de Maison rouge, nous avons découvert de l’amiante dans les enduits d’un immeuble de 18 logements appelé Le Havre, qu’on devait démolir. Il a fallu poncer tous ces enduits avant de démolir. Au lieu de 8.000 euros par logement, nous avons dépensé cinq fois plus, 40.000 euros”, rapporte M. Gal.

Un budget de construction amputé

L’enquête de l’USH a ainsi révélé que le coût des travaux de désamiantage avait bondi en moyenne de plus de 50% depuis la nouvelle réglementation de mai 2012.

Il varie de 500 euros à 15.000 euros par logement, en fonction de la nature des matériaux amiantés et de la technique employée (dépose, recouvrement ou encoffrement).

Soit, si l’on prend le milieu de la fourchette, une facture qui s’élèverait à quelque 21 milliards d’euros pour trois millions de logements… mais n’a pas fait l’objet d’une évaluation officielle.

Il s’agit là en tout cas d’une véritable bombe à retardement financière, à l’heure où les organismes HLM se sont vu fixer l’objectif de construire 150.000 logements par an, et d’en réhabiliter 100.000 autres.

D’autant qu’en l’absence d’aide financière, les bailleurs sociaux financent les surcoûts liés à l’amiante sur leurs fonds propres, ce qui ampute d’autant leur budget de construction et réhabilitation.

“Nous estimons que cela réduira notre activité de 30%”, dit M. Gal.

Or les organismes HLM sont sous la pression du gouvernement pour “passer à la vitesse supérieure” dans la rénovation (thermique notamment) de leur parc, a souligné la ministre du Logement, Cécile Duflot, lors du congrès de l’USH, en septembre à Lille, tout en affirmant vouloir encourager “la recherche de techniques innovantes” de désamiantage.

9eee6fad38dfa2c0da5c017f3514fb4b39fce4ec.jpg
amiante du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, le 23 avril 2010 (Photo : Kenzo Tribouillard)

Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) doit estimer, dans un rapport en fin d’année, le coût du désamiantage sur les chantiers du bâtiment et les modalités selon lesquelles les pouvoirs publics pourraient accompagner la mise en ?uvre de la nouvelle réglementation, par les maîtres d’ouvrage et les particuliers.

En France, l’amiante est jugée responsable de 10 à 20% des cancers du poumon et pourrait provoquer 100.000 décès d’ici à 2025, selon les autorités sanitaires.

Interdite depuis 1997, la fibre produit des effets sur la santé 10 à 40 ans après l’exposition. Elle est la deuxième cause de maladies professionnelles et coûte plus de 900 millions d’euros par an d’indemnisations à l’Assurance maladie.