Annoncée depuis des mois, la journée d’information sur le travail de la Commission de gestion des sociétés et biens confisqués a finalement eu lieu vendredi 15 novembre 2013. Loin de l’exposé scolaire, la rencontre a donné lieu à une franche explication sur la politique de confiscation en particulier et la lutte contre la corruption en général, entre membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) et responsables de ladite commission, son président, le ministre des Finances, Elyès Fakhfakh, en tête.
Les plus remontés contre le gouvernement dans ce domaine étaient Abderraouf Ayadi, secrétaire général du Mouvement Wafa, et Néjib Mrad, membre d’Ennahdha, respectivement vice-président et rapporteur de la Commission de réforme administrative et de lutte contre la corruption à l’ANC.
M. Ayadi reproche à l’actuelle politique de confiscation de ne pas «s’inscrire dans une stratégie de démantèlement du système de corruption. Il y a, selon lui, confiscation mais pas lutte contre la corruption». Le membre de l’ANC n’en veut pour preuve que le fait que l’Instance nationale de lutte contre la corruption ne soit pas encore opérationnelle et n’ait pas de budget.
M. Mrad s’est quant à lui déclaré «étonné par certaines déclarations» faites ce matin-là –en l’occurrence lors des exposés des principaux acteurs de ce dossier, en l’occurrence le président de la Commission de gestion et le coordinateur de son secrétariat particulier –Ahmed Khedher-, ainsi que Mohamed Ali Chekir, directeur général d’Al Karama Holding, et Abdelhamid Ghanmi (Caisse des Dépôts et Consignations), qui ont présenté le rôle de leurs organismes respectifs et dressé un état des lieux de la gestion des sociétés et biens confisqués.
M. Mrad reproche quant à lui à la Commission de gestion de ne pas s’acquitter comme il se doit de sa mission et égrène une série de faits pour étayer son propos.
Le rapporteur de la Commission de réforme administrative et de lutte contre la corruption affirme ainsi «recevoir quotidiennement des témoignages et plaintes» concernant ce qu’il considère comme des manquements. Qu’il est allé constater sur terrain, notamment à Bricorama où il a «vu des voitures de 15 ou 20.000 dinars abandonnées sous le soleil, ce qui leur fait perdre de leur valeur».
Le président de la Commission de réforme administrative et de lutte contre la corruption s’étonne également que le gouvernement n’ait pas encore mis en vente près de 200 appartements et villas ayant appartenu à l’ancienne nomenklatura.
Enfin, le membre de l’ANC affirme avoir des soupçons de corruption à l’encontre d’une partie des administrateurs nommés par la justice et se plaint qu’au sein de bon nombre de sociétés confisquées «des dirigeants ayant travaillé avec les corrompus soient encore en poste et que certains d’entre eux profitent de leur position pour lancer des projets en parallèle». Avant de menacer de «tout révéler si des mesures ne sont pas prises».
Un troisième membre de l’ANC, Hédi Ben Brahem (Ennahdha), critique lui le rythme des cessions d’entreprises confisquées. «A cette cadence, il nous faudrait 100 ou 120 ans pour vendre les 600 entreprises confisquées», observe-t-il. Et le député de proposer qu’on se fixe comme objectif pour 2014 une recette des cessions de 3 à 5 milliards de dinars et «de faire le nécessaire pour l’atteindre. S’il faut pour cela de nouvelles lois, nous sommes prêts à l’ANC», promet-il.
En réponse à ces critiques, le ministre des Finances appelle à «ne pas faire porter à la Commission de gestion plus de responsabilités qu’elle n’en a». S’il admet que la structure qu’il dirige n’est pas en train de démanteler le système de corruption et affirme qu’il n’est pas satisfait du bilan dans ce domaine, M. Fakhfakh appelle à évaluer l’action de la Commission en tenant compte des conditions dans lesquelles elle travaille et de la difficulté de la tâche qui lui a été assignée. Une mission tellement difficile que le ministre des Finances a eu toutes les peines du monde à recruter tant les membres de la Commission, tous de hauts fonctionnaires. «Il nous a fallu beaucoup insister pour les convaincre d’accepter cette mission», révèle le ministre.
De même, le recrutement de l’équipe permanente, des experts de haut vol, est loin d’avoir été une partie de plaisir. Et parfois non sans conséquences. «Depuis que j’ai débauché des membres de leurs équipes, certains directeurs généraux (du ministère des Finances, NDLR) me regardent de travers», se plaint Soufiène Chaouachi, chef du secrétariat permanent. Ce qui explique qu’il ait fallu de longs mois à la commission pour constituer son équipe permanente de 18 membres –dont 10 arrivés il y a seulement quelques jours.
Titanesque, le travail de la Commission est également loin d’être une sinécure. A chaque transmission de société confisquée, par la Commission de confiscation présidée par Néjib Hnane, la procédure est toujours la même. «Comme on ne nous communique que le nom de la société et la décision de confiscation, il nous faut à chaque fois constituer le dossier, c’est-à-dire collecter toutes les informations sur sa situation juridique, financière, etc.», se lamente le ministre des Finances.
La gestion de ces sociétés et, surtout, leur cession, est également un véritable casse-tête. D’autant que «nous sommes loin d’avoir révolutionné nos lois. Nous sommes toujours confrontés à la même bureaucratie», regrette M. Fakhfakh. De surcroît, ce qui ne facilite guère sa tâche, la Commission de gestion n’a aucune prise sur les administrateurs judiciaires. Contre bon nombre desquels elle a dû porter plainte pour les contraindre à convoquer les assemblées générales permettant de les remplacer.