Après avoir animé plusieurs ateliers de travail consacrés au projet du nouveau Code d’investissement, l’Association des jeunes experts-comptables de Tunisie (AJECT) a relevé, au cours de ces ateliers, plusieurs remarques et insuffisances relatives au projet.
Voici leurs conclusions:
– La réforme du régime dérogatoire (l’actuel Code d’incitations aux investissements) aurait dû être précédée par une réforme du régime de droit commun. A titre d’exemple, il est illogique de fixer, dans le projet du Code d’investissement, un taux d’impôt de 10% sur les bénéfices provenant de l’export, sans savoir le taux d’impôt sur les bénéfices du droit commun qui sera fixé à l’occasion de la réforme fiscale.
– Le mécanisme du dégrèvement physique constitue un encouragement fiscal visant à investir les bénéfices d’une société au sein d’elle-même, au lieu de distribuer ces bénéfices aux actionnaires sous forme de dividendes. L’abandon pur et simple par le projet du Code d’investissement des mécanismes du dégrèvement physique va à l’encontre des objectifs d’augmentation des capitaux propres et de renforcement des équipements de production utilisés par la société.
– Le projet du Code d’investissement prévoit également de supprimer la majorité des dégrèvements financiers actuellement disponibles. Or, ces mécanismes ont favorisé la création et l’augmentation de capital de plusieurs sociétés, permettant ainsi le renforcement du tissu économique.
– Absence totale d’avantages prévus par le projet pour encourager le secteur formel par rapport au secteur informel, qui a pris ces dernières années des dimensions dangereuses pour notre économie nationale.
– Les avantages fiscaux consacrés aux activités de soutien prévus par l’actuel Code d’incitations aux investissements sont un facteur déterminent pour orienter les investissements dans des secteurs importants tels que la formation professionnelle, l’enseignement privé, etc. Or, le projet du nouveau Code prévoit de supprimer tous ces avantages, entraînant une augmentation de 300% de l’impôt sur les bénéfices pour ces entités (de 10% à 30%).
– Absence totale dans le projet d’encouragements aux investissements verts (maîtrise de l’énergie, développement durable, économie d’eau, investissements écologiques, etc.). En plus, les avantages actuels déjà prévus par le Code d’investissement (économie de l’énergie, l’économie d’eau) ont été supprimés.
– L’application d’un taux d’impôt de 10% sur les exportations était déjà prévue par le législateur tunisien depuis 2007 mais l’application effective de cet impôt avait été repoussée, à l’époque, par crainte de fuite des investisseurs étrangers. Actuellement, et bien que le contexte économique, sécuritaire et sociale en Tunisie paraisse plus incertain que dans le passé, l’imposition des exportations ne va qu’accélérer la fuite des investisseurs étrangers. Ces derniers vont comparer avec les autres pays concurrents avant d’investir en Tunisie. (Au Maroc, par exemple, les exportateurs ont 5 ans sans impôt alors que notre projet prévoit 10% depuis la première année).
– Absence dans le projet d’une procédure clairement définie facilitant aux entreprises totalement exportatrices, non résidentes en matière de change, d’encaisser les produits de leurs ventes sur le marché local. En pratique, plusieurs contraintes bancaires sont imposées aux sociétés qui désirent encaisser en dinar leurs ventes sur le marché local permises par la législation.
– Le projet du Code d’investissement prévoit que toute entreprise peut recruter un personnel d’encadrement de nationalité étrangère dans la limite de 30% du total du personnel d’encadrement. Dans ce cadre et afin d’encourager les recrutements des cadres tunisiens, il faut bien définir la notion de personnel d’encadrement, les secteurs d’activité et fixer un nombre plafond de recrues. Il serait plus intéressant d’appliquer cette possibilité, de recruter un personnel d’encadrement de nationalité étrangère dans la limite de 30% du total du personnel d’encadrement, seulement pour les activités à haute valeur ajoutée.
– Maintenir l’avantage de l’importation des effets personnels et d’une voiture de tourisme pour les étrangers travaillants en Tunisie; prévu par le code actuel et supprimé par le nouveau projet.
– Le choix, au sein du projet du Code d’investissement, de l’Interlocuteur Unique de l’Investisseur, pourrait être plus contraignant que la procédure actuelle. Au lieu de faciliter la tâche, elle risque fortement de constituer un goulot d’étranglement. D’ailleurs, cette procédure avait été appliquée il y a quelques années pendant une courte période au Guichet Unique de l’API de Tunis avant d’être abandonnée faute de succès.
– Le projet du Code d’investissement consacre l’arbitrage international en cas de conflits entre l’Etat et les investisseurs étrangers. L’écartement des tribunaux tunisiens pourrait toucher la souveraineté nationale de la Tunisie et soulève des interrogations sur les modalités pratiques d’application, les garanties permettant la protection des intérêts de l’Etat tunisien ainsi que sur les coûts financiers exorbitants supportés par l’Etat en cas d’arbitrages internationaux.
– La possibilité offerte par le projet du Code d’investissement aux étrangers d’entrer dans le capital des sociétés propriétaires des terres agricoles constitue une atteinte à la sécurité alimentaire de la Tunisie. De même, le projet du Code permet aux étrangers d’acquérir les terrains dans les zones d’activités logistiques, touchant ainsi la souveraineté nationale sur des zones vitales pour l’économie nationale.
En clair, l’AJECT estime que ce projet constitue une mauvaise copie du code actuel. En effet, il n’a fait que reprendre la majorité des dispositions actuelles, tout en supprimant les outils les plus efficaces. En plus, les nouveautés apportées paraissent inutiles, voire dangereuses pour notre économie et notre souveraineté nationale. L’unique avantage réel du projet est la réduction des avantages accordés permettant, théoriquement, d’augmenter les recettes fiscales. Il est loin de constituer un véritable initiateur à l‘investissement, notamment dans le contexte incertain actuel de notre pays.