– Avec les prochaines élections dans les Chambres de commerce et d’industrie (CCI), ces dernières risquent de passer sous le contrôle de la Troïka en générale, et d’Ennahdha en particulier.
– Manque de concertation sur la date de ces élections (29 décembre 2013).
– La Commission nationale de supervision de ces élections est largement contestée.
– Enfin, ces élections, si elles ont lieu dans le cadre du décret promulgué à cette occasion, entraîneront le départ de la plupart des compétences en matière de ressources humaines dans les CCI (aucun membre des comités ayant effectué deux mandats n’a le droit de se représenter).
Le bruit sur la volonté d’Ennahdha, par l’entremise du ministère du Commerce et de l’Artisanat, de “mettre la main“ sur les Chambres de commerce et d’industrie, courait depuis plusieurs mois déjà. Il a été dernièrement confirmé par le «décret n°2013-3762 du 19 septembre 2013, modifiant et complétant le décret n°2013-1332 du 7 mars 2013 relatif à la fixation des conditions et des procédures relatives à l’inscription sur les listes électorales et à l’élection des membres des comités des chambres de commerce et d’industrie“.
Qu’est-ce qui dérange autant dans ce décret? Beaucoup de choses en réalité, selon les Chambres de commerce et d’industrie.
C’est d’abord la composition de la Commission nationale de supervision de ces élections, à savoir :
– le ministre chargé du Commerce en qualité de président ou son représentant,
– un magistrat de deuxième degré, représentant le ministère de la Justice,
– un magistrat du Tribunal administratif ayant le grade de conseiller,
– un représentant de la présidence du gouvernement,
– un représentant du ministère de l’Intérieur,
– un représentant du ministère des Finances,
– un représentant du ministère chargé de l’Industrie,
– un représentant du ministère chargé du Développement,
– un représentant du ministère chargé des Technologies de l’information et de la communication.
Les Chambres de commerce contestent aussi bien cette composition que sa mission, étant donné que sur ses 9 membres, seulement 2 sont supposés être des «indépendants», les 7 autres sont des fonctionnaires de l’Etat. C’est une façon de faire qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, disent les responsables des CCI tunisiennes.
D’ailleurs, ledit décret souligne que cette commission est chargée:
– le suivi des travaux des commissions régionales et statuer sur les oppositions et les recours adressés contre les décisions de ces commissions,
– la supervision des élections des membres des comités des chambres de commerce et d’industrie. A cet effet, elle coordonne et fixe toutes les opérations et procédures liées à ces élections,
– la prise de toutes les mesures nécessaires pour assurer le bon déroulement et la réussite des élections et la veille à la fixation des listes électorales provisoires, et ce, dans la deuxième moitié du mois d’octobre de chaque année. Dans tous les cas, cette commission se réunit trois mois avant la fin du mandat des comités des chambres,
– statuer sur les recours liés aux résultats des élections des membres des comités des chambres de commerce et d’industrie.
A cela s’ajoute l’opportunité du moment. En effet, les CCI considèrent que le moment n’est pas approprié pour organiser des élections, et ce d’autant plus quelles constituent l’un des rares organismes qui continuent à fonctionner presque normalement depuis la révolution.
Les CCI reprochent également au décret sa rétroactivité concernant le mandat des membres des comités. En effet, il interdit aux membres ayant accompli deux mandats de se représenter.
Autre grief des CCI contre le gouvernement et son décret: l’exclusion du patronat. Le ministère du Commerce n’aurait pas jugé bon de consulter l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, alors que les CCI font partie intégrante du patronat.
Par ailleurs, selon des présidents des CCI que nous avons interrogés, les différents ministres du Commerce qui se sont succédé à la tête de ce département depuis la révolution, notamment l’actuel, Abdelwahab Maatar, ont fait valoir des failles dans la loi de 2006 sur les CCI. Ce que les concernés ne nient pas. Cependant, ils estiment qu’il aurait fallu s’asseoir sur la même table pour discuter et décider ensemble des améliorations à apporter. Ce qui n’a pas été le cas. Du coup, ils accusent –sans le dire ouvertement- le ministre de vouloir placer ses proches à la tête des CCI.
Maatar ignore-t-il que les CCI sont confrontées à d’énormes difficultés financières? Pratiquement aucune d’entre elles ne possède son propre local, alors que leurs homologues en Afrique (Burkina Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire…) ont leur propre siège.
A noter que la CCI est définie comme étant une structure qui relève du ministère du Commerce, mais jouit d’une indépendance financière. Et que les ressources des chambres proviennent des services payants qu’elles fournissent, tels que l’extrait de certificats d’origine, l’organisation des foires et salons et certaines rencontres professionnelles.
En clair, ils considèrent que le décret relatif à l’organisation des élections des chambres de commerce ne contribuera pas à la concrétisation des principes de bonne gouvernance. Ils dénoncent non seulement le choix de la date de ces élections, mais aussi critiquent la démarche adoptée lors de l’élaboration du décret –certains vont jusqu’à dire qu’il a été élaboré en catimini-, à laquelle les présidents des chambres n’ont pas été conviés contrairement à la promesse qui leur a été faite par le ministre du Commerce.
Compte tenu de toutes ces failles, les CCI ainsi que le patronat demandent à un réexamen dudit décret, car il risque d’engendrer un déséquilibre dans la composition du comité de la chambre (30 membres) après les élections, à travers la dominance de certains secteurs au détriment d’autres.
Concernant l’«indépendance financière», les présidents des CCI y tiennent comme une vertu. Et c’est justement la perte de cette autonomie qui soulève le tollé et l’inquiétude au sein des CCI et du patronat.
Et ce n’est pas anodin que Mounir Mouakhar, président de la CCI de Tunis, l’ait rappelé, en filigrane, et devant ses homologues africains au début du mois de ce mois de novembre, à l’occasion de la tenue de la 39ème Assemblée générale des CPCCAF à Tunis.
En effet, dans son allocution d’ouverture de cette assemblée, il avait souligné que «la Chambre de commerce et d’industrie de Tunis assure, à travers sa Direction d’assistance aux entreprises, ses Bureaux régionaux, ses Points exports ainsi que ses Directions et ses quatre Centres d’affaires, un service d’appui et de conseil de terrain aux entreprises de la région du Grand Tunis».
Mais le plus important le voici: «… Dans la mesure où les chambres de commerce et d’industrie sont pleinement conscientes du rôle et des responsabilités qui sont les leurs dans le processus de développement économique, elles aspirent à une plus grande reconnaissance de leur action des pouvoirs publics et une autonomie de gestion. C’est leur positionnement singulier au sein du paysage national qui fonde leur richesse. Etablissements publics gérés par des chefs d’entreprise indépendants, elles ont la capacité de développer des projets innovants, en relation directe avec les besoins des entreprises et sans interférence avec les agendas du monde politique ou administratif», et ce même si «leurs prérogatives doivent s’inscrire dans le cadre législatif et réglementaire tunisien, gage de neutralité et d’impartialité dans leur action, au service de tous les ressortissants».
Nul besoin d’avoir fréquenté les bans de l’université pour comprendre le message du président de la Chambre de commerce et d’industrie de Tunis, qui est sans doute la position de toutes les chambres que compte le pays.
A partir de tout ce qui précède, la question qui se pose est de savoir si cette cabale du ministre du Commerce contre les CCI aboutira. D’ailleurs, on rappellera que depuis les élections du 23 octobre 2011 ayant porté Ennahdha au pouvoir, on a enregistré plusieurs tentatives de mainmise aussi bien sur les institutions que sur les organismes, à l’instar des municipalités, des conseils régionaux, de l’UTICA, de l’UGTT, etc.